TROISIÈME PARTIE : Critique du jugement de Jésus-Christ
Valeur du procès religieux et du procès civil
Nous affirmons, avec le père Lemann, que le procès ecclésiastique et le procès civil du Sauveur ne furent qu’un tissu de calomnies et d’illégalités.
En effet, dans les membres qui le composaient, le Sanhédrin ne présentait alors qu’un assemblage d’hommes en majeure partie indignes de leurs fonctions. Nulle piété chez eux, nulle droiture, nulle valeur morale. Que valaient des pontifes comme Caïphe et Anne ? Outre qu’ils devaient à la faveur des magistrats romains, ou à d’inavouables intrigues, leur élévation au pontificat, ils n’étaient pas plus recommandables par leur conduite que par leur caractère. Leur assesseurs, prêtres, scribes et anciens méritaient un égal mépris. « Gourmands », « capricieux », « voleurs », « orgueilleux », « violents », telles sont les épithètes que l’histoire leur réservent. Pilate et Hérode Antipas n’étaient pas plus estimables : le premier fut un lâche, doublé d’un sceptique et le second, par ses débauches, est devenu légendaire dans l’Histoire.
Voilà les juges de l’innocent Jésus.
Mais venons-en au procès lui-même. L’abbé Lémann estime qu’il n’y eut pas moins de vingt-sept irrégularités dans le seul jugement ecclésiastique.
Il suffira d’en rappeler quelques-unes.
La loi juive défendait expressément d’instruire une affaire la nuit, ainsi que de juger la veille de la grande fête de Pâque. Le Sanhédrin passa outre dans l’affaire de Jésus. C’étaient déjà de graves irrégularités.
D’après les lois encore, toute sentence de mort portée hors de la salle Gazith demeurait nulle de plein droit. Or, c’est dans la maison de Caïphe que Jésus fut, la nuit, premièrement et définitivement condamné. Nouvelle irrégularité.
Les dépositions des témoins ne furent pas faites non plus suivant la loi. Les sanhédrites voulant aller vite, on précipita tout au mépris des usages de la plus élémentaire justice. Irrégularités sur irrégularités !
Quant au fond même du procès, personne n’ignore que le Sanhédrin ne se prononça que sur des calomnies et d’odieux mensonges. Non seulement les accusations ne concordaient pas, mais elles étaient fausses (Mt 27, 23 ; Jn 19, 6 ; 18, 38). Sauf une : que le Galiléen se disait « fils de Dieu ». Or, cela fut exploité de la façon la plus indigne et regardé comme un blasphème.
Les autres accusations, absolument sans portée, furent néanmoins tenues pour suffisantes : ce que la loi hébraïque défendait, comme elle défendait encore de prononcer une sentence capitale le jour même où l’accusé avait comparu. Le Sanhédrin s’en moqua. Autres irrégularités.
N’était-ce pas enfin une illégalité que de condamner Jésus, comme on le fit, a priori, avant toute audition de témoins et sans que le prévenu eut été mis en mesure de se défendre. ?
Incontestablement, la procédure des sanhédrites ne respire, du commencement à la fin, que haine et injustice.
De la part de Pilate, il n’y eut point, dans le procès civil, la même animosité haineuse. Y eût-il plus de justice ? Non. Était-ce de la justice que ces expédients auxquels recourut le malheureux procurateur ? Voyant parfaitement bien que Jésus n’était coupable d’aucun des crimes qu’on lui imputait – ni du crime de lèse-majesté, ni du crime de rébellion –, le timide magistrat aurait dû relâcher l’accusé. Mais il n’osa pas. C’est par peur qu’il délivra Barabbas de préférence au Christ, c’est par peur encore qu’il ordonna le supplice de la flagellation. Il en avait le droit strict, dira-t-on. Peut-être, mais en l’occurence l’usage du droit devenait un abus, et la justice le cédait à la force brutale. On ne punit pas, on ne frappe pas comme coupable celui qu’on sait innocent.
D’ailleurs dans cette affaire, Pilate viola les formalités les plus élémentaires de la procédure romaine. Il ne désigna pas les accusateurs, il n’accorda pas à l’accusé les délais de rigueur pour choisir ses avocats. Il ne s’enquit même pas si le prévenu avait un défenseur. Donc, pas de citation en règle, pas de discussion contradictoire, pas de confrontation des témoins à charge et à décharge. Finalement, la sentence ne fut pas même prononcée dans les termes requis. Par conséquent, il n’y eut pas de procès à proprement parler.