L’Eglise prend à son compte le sacrifice de l’homme

« Recevez, Trinité sainte… » Ces prières de l’offertoire consistent avant tout à demander à Dieu qu’il reçoive notre offrande : c’est déjà la demande de la première des prière : « Recevez Père saint cet offrande que moi votre indigne serviteur etc.  » C’est aussi la demande de la dernière des prières de l’Offertoire : « Recevez Trinité sainte… » Et c’est le même verbe qui est utilisé à la forme passive dans une autre des six oraisons qui constituent l’offertoire « En esprit d’humilité et le coeur contrit, nous sommes reçus par vous… » Nous demandons à Dieu de bien vouloir recevoir… Qui ? Nous.

Nous sommes reçus par Dieu, nous sommes intégrés à la liturgie céleste. Notre liturgie terrestre, notre offrande terrestre s’arrête à l’offertoire au terme duquel nous pouvons dire que Dieu reçoit notre offrande, mais nous le disons sans perdre de vue que recevant notre offrande, c’est chacun de nous qu’Il reçoit comme le fils prodigue de l’Evangile. Nous sommes reçus, c’est à la fois le but et le terme de l’offertoire et le commencement de la consécration. Le sacrifice chrétien, le sacrifice parfait, c’est Dieu qui se donne en Jésus Christ, attendant que nous nous donnions en réponse à ce don qu’il nous a fait de lui-même sur la croix. Cet échange admirable a eu lieu lors de la visite du Christ en terre. Il se renforce à chaque messe, puisque, nous le verrons dans un prochain post, à chaque messe s’opère le mystère de notre rédemption.

La dernière des prières de l’Offertoire évoque le fait que notre offrande à chacun, nous la présentons « en mémoire de la passion, de la résurrection et de l’ascension de Notre Seigneur Jésus Christ et en l’honneur de la bienheureuse Marie toujours Vierge, du bienheureux Jean-Baptiste, des saints apôtres Pierre et Paul, de ceux dont les reliques sont ici et de tous les saints ». Les deux mots « en mémoire » ont suffis pour que les liturgistes auto-proclamés, dans les années 60, décrètent que cette prière un doublon de l’anamnèse, la prière Unde et memores que l’on récite juste après la consécration.Doublon ? On supprime ! N’ayant pas compris le sens de l’offertoire (aujourd’hui quasi détruit dans le rituel rénové), ils ne comprirent pas le rôle clé de cette dernière prière de l’offertoire, dans laquelle c’est l’Eglise qui, devant Dieu, assume le sacrifice de l’homme..

Il y a en effet un petit détail qui auraient dû alerter l’attention des réformateurs : ce rappel des trois mystères du Christ sauveur, passion, résurrection et ascension, se poursuit avec l’évocation des grands saints de l’Eglise : la Vierge Marie, dont Luther lui-même expliquait, dans son Commentaire du Magnificat, qu’elle est la première chrtienne, chrétienne d’esprit et de coeur avant le Christ, qui devant l’ange Gabriel est toute l’Eglise à elle toute seule et qui, par son attitude courageuse après l’Ascension, obtient le titre de reine des apôtres. Saint Jean-Baptiste, qui par la force du Saint Esprit est le premier prédicateur chrétien, le témoin de la Lumière et non la Lumière ; et puis les saints apôtres Pierre et Paul qui symbolisent à eux deux l’Eglise romaine, mère et maîtresse de toutes les Eglises. Ces quatre saints qui représentent l’origine de l’Eglise, Marie, Jean-Baptiste, Pierre et Paul se trouvent « mis à l’honneur » par le prêtre qui célèbre ce sacrifice. Il n’en faut pas d’avantage pour penser que « son sacrifice qui est aussi le nôtre », est le sacrifice de l’Eglise tout entière, que ce sacrifice, avant de devenir le sacrifice du Christ, est offert par l’Eglise, qui fonde sa légitimité offrante sur deux faits : le souvenir du Christ son fondateur, qui a apporté le salut à l’humanité et l’honneur qu’elle rend, avec fidélité, à ses propres colonnes fondatrices.

De la même façon que le Veni sanctificator n’a rien à voir avec l’épiclèse grecque, et n’est pas une épiclèse décallée dans l’offertoire, de la même façon cette évocation historique du salut apporté par Jésus Christ n’est pas une anamnèse des Mystères du Christ mais l’affirmation de la légitimité de l’Eglise à offrir le sacrifice de l’homme. C’est avant tout en ce sens, sacrificiel, qu’elle peut se dire « experte en humanité. En elle s’unifie, en elle se présente le sacrifice de toute l’humanité, comme le redira l’Orate fratres et comme le dit assez bien au fond l’actuelle traduction française de l’Orate fratres dans le rite rénové, désignant ce sacrifice comme « celui de toute l’Eglise pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

Il faut bien reconnaître d’ailleurs que le rite traditionnel, s’il mentionne le rôle de l’Eglise, insiste peu sur cette dimension salvifique qu’on peut lui attribuer. Pourquoi ? Je me hasarde à une explication. Nous ne sommes pas gênés aujourd’hui par les abstractions politiques. Ainsi met-on facilement dans le même pannier l’Etat et la société qu’il représente et qu’il ordonne. L’Eglise elle-même, cet instrument de l’unité des croyants, se complaît aujourd’hui à apparaître comme une sorte d’Etat spirituel abstrait, une administration de la foi à l’échelle du monde. Dans la longue histoire des croyants, ce sont les gnostiques qui ont manifesté ce goût pour l’abstraction. Pour eux l’Eglise est une entité abstraite, qui dans une syzygie imaginaire [un couple métaphysique] a épousé l’Humanité. Pour se protéger des errements que produit ce goût, mythologique au fond, pour les abstractions imaginaires, nos ancêtres catholiques romains envisageaient l’Eglise non comme une abstraction, non comme une idée mais toujours comme un ensemble de personnes concrètes, dont la sainteté est un signe voulu par Dieu pour le salut des hommes de tous les temps.

La sainteté, pourquoi l’Eglise l’évoque-t-elle tant se sont demandé les protestants au XVIème siècle ? Parce que c’est contagieux. « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens » disait déjà Tertullien de Carthage au début du IIIème siècle. Et la jeune sainte Thérèse d’Avila, pétrie par la lecture des vies de saints, convainc son frère de fuguer pour aller chercher le martyre (la sainteté) chez les Maures. Il n’y a pas de jalousie chez les saints, la sainteté c’est communicatif. Ainsi va-t-on naturellement des saints invoqués comme les patrons de l’Eglise, au saints dont les reliques sont dans la pierre d’autel : istorum. Ainsi que le prescrit l’emploi du démonstratif iste : ceux qui sont proches à les toucher [sur le culte des reliques voir notre post sous ce titre]. Plus largement on parle de tous les saints, qui, chacun à sa manière, démontrent l’efficacité spirituelle de la Mère Eglise.

L’énumération de ces quatre noms – Marie, Jean-Baptiste, Pierre et Paul – apparaît assurément à elle seule comme une évocation de l’Eglise, l’Eglise universelle, l’Eglise des deux côté du voile, l’Eglise des vivants qui prient pour les défunts et l’Eglise des défunts qui prient pour les vivants. Plutôt que de fondre les chrétiens dans cette abstraction que l’on appelle trop souvent l’Eglise, , nos ancêtres étaient attentifs à la solidarité concrètes qui unit les humains spirituellement entre eux : dans le Credo on parle de la communion des saints. Dans cette dernière prière de l’offertoire, on évoque l’échange de service entre les vivants et les morts, entre les saints et les simples pékins que nous sommes : qu’eux les saints, tous les saints daignent intercéder dans le ciel, eux dont  nous rappelons la mémoire sur la terre, pour que finalement pour eux, cela leur rapporte l’honneur et pour nous le salut.  Le marchandage est presque naïf ; avec l’honneur que l’on propose aux saints en échange de leur médiation, nous sommes tout près du monde païen et de ces évergètes qui rendaient honneur, par leurs constructions, aux héros et aux dieux de la Cité. Gageons que beaucoupo d’églises des anciens jours ont été bâties pour rendre honneur au saint auquel elles sont consacrées.

Mais ce marchandage signifie avant tout beaucoup de confiance, que les saints, on vit avec eux et qu’il n’y a pas à craindre l’anthropomorphisme : ce sont des humains, comme vous et moi. S’ils travaillent pour notre salut auprès de Dieu, on leur rend hommage, c’est tout naturel. De toutes façons il ne faut pas se tromper : la véritable Eglise, comme le pensaient encore très fort les jansénistes et comme on ne le pense plus du tout aujourd’hui, c’est l’Eglise des saints. Un hôpital de campagne plutôt dit le jésuite François. Peut-être, mais l’hopital de campagne il faut des saints pour le faire tourner sinon c’est la chienlit.

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