« Je me laverai les mains… »

Pour comprendre la place du lavement des mains du prêtre avec l’eau bénite pour le sacrifice, il faut se souvenir que dans les Ordines romani, qui décrivent la messe papale, à l’origine du rite romain, le pape assistait à l’offertoire depuis son trône et ne rejoignait l’autel que pour le sacrifice divin et sa Préface chantée. Avanrt d’arriver à l’autel, il se lavait rituellement les mains, comme pour marquer que l’homme qui allait agir durant la période la plus sacrée de la messe devait au préalable se purifier pour entrer en symbiose avec l’autel, qu’il n’était plus un homme ordinaire avec ses défauts ou même ses défaillances, mais qu’il était le ministre de l’action sacrée, mis à part pour cela (ce que signifie le terme de sanctifié), ayant renoncé à toute la méchanceté du monde. Aujourd’hui, il n’y a plus ce trajet du siège à l’autel que durant les messes pontificales (de l’évêque), mais l’exigence de pureté rituelle demeure, marquée par le rite que l’on nomme le rite du Lavabo, parce que ce verbe au futur (devenu un substantif en français aujourd’hui) est le premier mot du fragment du psaume 25 que récite le prêtre à ce moment-là, en se lavant et en s’essuyant les mains.

« Je laverai mes mains  parmi les hommes intègres et je ferai le tour de ton autel Seigneur pour entendre la voix de la louange et raconter toutes tes merveilles. Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta maison,  du lieu où habite ta gloire. Ne laisse pas mon âme se perdre avec les impies, ma vie avec les hommes sanguinaires. Ils ont leurs iniquités sur les mains et leur main droite est remplie de présents. Quant à moi je me garantis de mon intégrité, rachète moi, aie pitié de moi.Mon pied se tient dans la voie droite, dans les églises je te bénirai Seigneur »

Dans la liturgie rénovée; le geste du lavement des mains a été maintenu. Impossible de l’enlever officiellement tant il est parlant. Quel homme peut dire qu’il n’a pas besoin de se purifier avant d’entrer dans le mystère divin ? Mais beaucoup de célébrants, dans la ligne de l’amoindrissement de l’offertoire, considèrent ce rite de purification comme optionnel. Quant à la lecture du psaume 25 (traduit plus haut), elle a été carrément supprimée, avec la terrible leçon de vie qu’elle contient. On l’a remplacée par le verset 4 du Psaume 50 (51) : « Lave moi de mes fautes Seigneur, purifie moi de mon péché ». On notera que, pour ne pas faire peur, le mot « iniquité » a disparu de la traduction de ce verset du psaume 50, remplacé par le mot « péché » sans doute plus passe-partout. Résultat final : banalisation du rite de purification.


Ce rite est au contraire très solennel dans la liturgie traditionnelle, où il vient merveilleusement à propos pour rappeler le combat spirituel dans lequel s’inscrit la célébration des saints mystères. Les prières au bas de l’autel qui marquent le commencement de la messe, avaient déjà évoqué, dans le cadre même de la célébration, l’intensité de ce combat spirituel au début de la messe, pour éviter que les assistants ne s’évadent d’emblée… Ne s’évadent où ? Dans le principe de plaisir spirituel, dans cette forme de luxure spirituelle dont parle saint Jean de la Croix qui confond le monde spirituel avec celui des Bisounours. La récitation du psaume 42, au bas de l’autel, nous a ancré d’emblée, au contraire, dans notre difficile réalité existentielle. Et à nouveau, au moment de pénétrer dans le mystère de la transsubstantiation, l’Eglise nous rappelle qui nous sommes, que nous n’avons pas à nous évader de la triste réalité de notre condition. Le psaume 25 met en place à nouveau, à la fin de l’Offertoire, la toile de fond de notre fragilité vitale, que c’est pour l’affronter et pour affronter des hommes qui ont fait un autre choix, le choix de la violence, le choix du sang, que nous célébrons, que nous aimons célébrer, avec une force venue d’ailleurs, ce culte du Seigneur, dans ce Temple où il habite, où il est présent, où nous le retrouvons parce qu’il nous y a donné rendez-vous pour manger le pain du Royaume et boire.la coupe du Salutaire. Les quelques versets délectionnés dans ce psaume 25 opposent de manière parlante le choix du Temple ( celui de l’innocence : inter innocentes, celui de l’absence de nuisance, comme le souligne Renaud Camus dans un tout autre contexte, celui de l’intégrité comme on pourrait traduire innocentia en français) et le choix du sang, des hommes du sang (Caïn contre Abel : choix éternel), des hommes de la tromperie (« Leur main droite est remplie de présents »).

Rédime moi : Rachète moi Seigneur ! Allusion brève mais allusion claire au goël, au grand racheteur, au sauveur, annoncé par Isaïe. Le psaume anticipe sur ce que seront les deux grandes dimensions de la vie spirituelle : il y a la nature du demandeur qui résiste d’instinct au péché et aux pécheurs, qui se calfeutre dans son innocence, dans son intégrité, Et il y a la grâce du Racheteur, qui promet de la part de Dieu un grand acte de miséricorde (Ayez pitié de moi). Cette phénoménologie spirituelle, tirée de l’Ancien Testament, annonce clairement la distinction entre nature et grâce que l’on trouve dans la théologie chrétienne.

On retrouve d’ailleurs cette dualité entre nature et grâce jusque dans le dernier verset du Psaume 25: « Mon pied se tient dans la voie droite », c’est l’élan de la nature, d’une nature qui reste intègre ; « dans les églises je te bénirai, c’est la dimension de la grâce, qui se saisit comme la réponse à un appel de Dieu. Le mot grec ecclesia, qui est utilisée bien avant la naissance de l’Eglise catholique au jour de la Pentecôte, renvoie au verbe kaleo, appeler. Plus qu’une assemblée (mot qui désigne en français un rassemblement festif aussi bien qu’une réunion administrative, bref qui est un mot neutre), le mot « église » évoque la convocation de Dieu, l’appel et la réponse qu’on lui donne, bref un élan nouveau qui permet à l’homme de se dépasser, appel que l’on traduira en latin par le mot « vocation », l’appel que chacun entend pour lui-même, à travers lequel chaque personne va pouvoir se réaliser à sa manière : Dans les églises je te bénirai. En un tel contextez liturgique, il est clair que cet appel nous mène à l’eucharistie, c’est-à-dire à la Présence sacrée de celui qui appelle.

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