Le plan divin

Voici une traduction littérale de cette prière de l’offertoire dont nous évoquions la structure dans le post précédent :

O Dieu, qui avez créé la dignité de la substance humaine de manière admirable et qui l’avez reformée d’une manière plus admirable encore, donnez-nous par le mystère de cette eau et de ce vin,  d’être rendus semblables à la divinité de celui qui a daigné devenir participant de notre humanité, Jésus Christ votre Fils notre Seigneur, qui avec vous, vit et règne dans l’unité de l’Esprit saint par tous les siècles des siècles Amen

Dignité de la substance humaine ? On dirait que cette vieille prière de l’Offertoire, à la syntaxe latine impeccable, a été écrite pour notre époque, toujours prompte à revendiquer les droits de l’homme. Attention ! Pour un Latin, le jus (droit) est quelque chose de concret, un rapport une relation entre un homme et une chose, ou entre un homme et un autre homme, relation qui peut être universelle, au nom de la loi (lex) ou qui est particulière, relevant d’une loi privée (privilège). Le droit de chacun, renvoyant à la justice générale, décrit un ordre social.


C’est depuis le XVIIIème siècle que le droit est devenu abstrait, se référant exclusivement au sujet humain quel que soit son sexe, sa classe sociale, ses talents, son état de vie etc. Ce droit-là rien ne peut vraiment le satisfaire, il est indéfini. Question d’imagination quelque fois ! Le droit humain, qui n’est pas un droit de l’homme concret mais un droit de tous les hommes, un droit abstrait, finit par coïncider avec le désir de l’homme, Dernièrement par exemple avec le désir d’enfants des couples homosexuels, qui auront le droit d’éliminer le géniteur(je n’ose pas dire le père) pour mieux profiter, toutes deux, de leur enfant… Pourquoi ? Parce que c’est leur droit. En réalité, c’est avant tout leur désir. Mais, au nom de l’Homme majusculaire, leur désir devient un droit, sanctionné par la loi.

Telle n’est pas la dignitas. La dignité, en latin, c’est la qualité de l’homme accompli, de la matrone qui a construit sa famille, Pour un synonyme au qualificatif « digne » on pourrait penser à « noble ». C’est ainsi me semble-t-il que l’on peut traduire le Vere dignum et justum est de la Préface où l’on retrouve cette idée de dignité : il est noble et il est juste….. Dans un fameux sermon de Noël qui résonne dans la nuit, pendant l’office des Matines, le pape saint Léon le Grand s’écrie : « Agnosce o christiane, dignitatem tuam », Reconnaîs chrétien ta dignité. Quelle est la dignité du chrétien ? De se savoir aimé de Dieu et de l’aimer à son tour.

Voilà quel est la dignité de l’homme, une dignité qu’il peut perdre par le péché grave, pensez aux faits de pédophilie par exemple : « Malheur a celui qui scandalisera un seul de ces petits ; il serait préférable que soit suspendue à son cou une meule que tournent les ânes et d’être engloutis en pleine mer…  » (Matth. 18, 6). Jamais, dans l’Evangile le Christ n’est aussi sévère que contre les pédophiles !

Cette dignité est celle de la substance humaine et pas de l’essence humaine. Pour Aristote, dans les Catégories transmises en Occident par Boèce, la substance c’est le sujet singulier, ce qu’Aristote appelle la substance première. On emploie aujourd’hui un mot qui a été long à faire son chemin : la personne humaiine. « Substance individuelle de nature rationnelle » écrit Boèce à propos de la personne, dans son De duabus naturis. Ce qui est digne, ce n’est pas l’essence ou l’idée d’homme abstrait, c’est le sujet personnel qui agit avec justesse. On peut donc préciser la traduction et invoquer Dieu qui crée la dignité de la personne humaine de manière admirable, et qui la reforme de manière plus admirable encore… 

Que s’est-il passé entre création et reformation ? Le péché originel, c’est-à-dire l’histoire cahotante de l’humain (de l’essence humaine) et la foi, envers et contre tout, d’un petit nombre, contrastant avec l’insouciance du grand nombre. En son chapitre 11, l’épître aux Hébreux donne une liste heureusement non exhaustive de ces hommes de foi envers et contre tout, malgré le désordre du monde. Non l’humanité n’est pas détruite par le péché, beaucoup ont combatttu pour ne pas se laisser engloutir par le mal, mais, dans son ensemble, l’humanité s’est laissée « déformer » par le péché (le péché est une deformatio dit saint Thomas IaIIae Q71). Cette deformatio appelait une reformatio, un retour à la forme, qui n’est pas donné à l’humanité de manière autoritaire, mais par grâce, à travers un appel à la liberté de chacun..

L’humanité n’est pas la même avec ou sans la grâce. La nature humaine ne peut à elle toute seule se porter jusqu’à son principe. Chaque personne reçoit une aide pour accomplir divinement sa destinée, pour exaucer sa liberté, pour diviniser sa vie en l’arrachant à la précarité. La première création avait été un don gratuit de Dieu à des créatures qui certes n’avaient rien demandé et pour cause : on ne peut pas être avant d’être, mais qui avait été reçu en partage, comme une image de Dieu dans leur coeur, la liberté. Simplement la liberté était un risque, cette création a été saccagée par le péché. Par cette reformatio, Dieu nous redonne une chance, en son Fils Jésus Christ, premier né de toutes créatures.

La création était admirable parce qu’elle était gratuite, Dieu n’ayant rien à y gagner. La recréation est plus admirable encore car ce Dieu qui n’avait rien à y gagner s’investit dans le salut de l’humanité au point de le gagner en son nom, s’étant fait homme. Le Tout puissant respecte notre liberté et notre dignité, au point qu’il remet notre salut dans nos propres mains d’hommes, par le Christ qui montre à toute l’humanité l’unique chemin qu’elle peut emprunter pour se sauver, celui de l’amour.

L’amour seul nous associe à Dieu, l’amour seul crée la communication entre le fini et l’infini. C’est l’amour qui égalise la condition humaine avec la condition divine. Aucune autre justice que celle engendrée par l’amour ne peut faire en sorte que l’homme devienne « partageant le sort de la divinité », comme Dieu a voulu participer à notre humanité en Jésus Christ.. L’amour c’est l’union de ceux qui s’aiment; Entre Dieu et l’homme par grâce l’union est parfaite, puisque Dieu s’est fait homme et que l’homme devient Dieu. Le Christ prend la nature humaine, étant Dieu et les hommes reçoivent une participation à la divinité qui les arrache au temps dont ils sont issus et les rend éternels.

Comme dit saint Pierre dans sa Deuxième épître : « les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été données [à nous apôtres] afin que vous [fidèles] deveniez participants de la nature divine, vous étant arrachés à la corruption qui est dans le monde, dans la convoitise » (II Petr.1, 4). Et il continue en mettant au sommet de la transformation spirituelle, l’amour fraternel et la charité, c’est-à-dire l’union entre l’homme et Dieu, réalisée dans le Christ : « Pour cette raison [de votre divinisation] apportez encore tout votre zèle à joindre à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance (gnosis), à la connaissance la tempérance, à la tempérance la constance, à la constance la piété, à la piétél’amour fraternel, à l’amour fraternel la charité » (II Petr. 1, 5-6).

La divinisation qui est notre destinée librement recherchée au dessus de notre nature, est faite de vertu et de connaissance. La connaissance ne remplace pas tout comme dans le gnosticisme, mais elle est nécessaire à la foi, comme la tempérance et la constance qui gardent notre stabilité dans le bien que nous avons choisi en connaissance de cause, et la vertu, la connaissance, la tempérance et la constance militent pour la charité, dans ses deux formes inséparables, l’amour du prochain et l’amour de Dieu. Notre prière liturgique de l’Offertoire est moins développée mais elle fait une très claire allusion à ce passage de la Deuxième de Pierre, qui peut donc lui servir de commentaire.

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