Après cette mise au point sur les différents sens du mot « mystère », il est temps d’analyser cette prière que le prêtre dit en bénissant l’eau et en en ajoutant une goutte dans le vin de l’offertoire. Dans certains rites (le rite dominicain par exemple ou le rite romain rénovée et appliqué hors de ses rubriques) l’eau et le vin ont été mélangés avant la messe et sont déjà dans le calice. Cela nous prive de la belle prière que nous allons analyser. Et cela prive l’offertoire de son sens mystique ou mystérique ; chacun s’offre lui-même à travers l’offrande du pain, du vin… et de la goutte d’eau solennellement ajoutée, qui nous représente tous, fondus dans la Divinité du Christ notre frère, comme la goutte d’eau est perdue dans le vin.
La structure de cette prière est classique : elle s’adresse à Dieu, c’est-à-dire à Dieu Père, qui a fait ceci et cela, pour le supplier : donne nous de participer à la divinité de celui qui a daigné prendre notre humanité, le Médiateur Jésus-Christ dans l’unité du Saint Esprit. Cette structure représente proprement la forme de la prière caractéristique de la liturgie romaine, au Père par le Fils dans l’Esprit saint. Elle se termine par un AMEN qui montre l’origine hébraïque du culte divin et signifie quelque chose comme : En vérité. On trouve déjà cet Amen dans la bouche du Christ. Dans saint Jean il est doublé : « En vérité en vérité je vous le dis… ».
Saint Paul utilise le terme AMEN dans la deuxième épître aux Corinthien, de manière quasi liturgique, en se souvenant vraisemblablement de la structure de l’oraison que nous avons indiquée : « Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur OUI en Jésus-Christ. Aussi bien est-ce par lui (per ipsum) que nous disons l’Amen à Dieu pour sa gloire » (II Co. 1, 20) : nous disons AMEN par le Christ Notre Seigneur, notre Sauveur, celui qui nous rend capables de la prière que nous formulons. Voilà pour la liturgie.
S’exprimant plutôt en théologien qu’en liturgiste, saint Jean dans l’Apocalypse va plus loin, avec cet Amen. Il appelle le Christ « l’Amen, le témoin fidèle et vrai, le principe de la création de Dieu » (Apoc. 3, 14). Le Christ est l’Amen de Dieu parce qu’il est celui en qui la volonté de Dieu s’accomplit, celui sur lequel se construit le nouvel ordre des siècles initié par l’Apocalypse.
La traduction française du mot hébraïque AMEN par Ainsi soit-il, expression qui indique le voeu ou le souhait, est une traduction faible. A propos de la traduction de Dominus vobiscum par « Le Seigneur SOIT avec vous » j’ai déjà noté dans un post antérieur combien cette spiritualité de l’optatif paraissait dérisoire. Le Seigneur est avec vous : liturgiquement ce n’est pas un voeu, c’est un constat. Si à la messe le Seigneur n’était pas avec nous, la messe servirait à quoi, je vous le demande ! Le mot AMEN, En vérité pose le même genre de constat que l’expression Dominus vobiscum. Il exclut les voeux et les souhaits caractéristiques de l’optatif. Nous ne sommes pas dans un conte de fée. Remettons l’expression au mode du réel qui est l’indicatif. Non pas : ainsi soit-il mais bien : que ça plaise ou non, ainsi est-il. Le plus simple est de garder l’Amen hébraïque comme l’a fait la liturgie latine et comme l’ont fait aussi les premiers traducteurs latins du Nouveau Testament : Amen amen dico vobis dit le Seigneur dans un latin mâtiné d’hébreu, et cela que ce soit dans la Vetus latina ou dans la Vulgate… Pourquoi n’en est-il pas de même en français : Amen, amen, je vous le dis.
La foi n’est pas un conte pour endormir les enfants que nous sommes et leur faire oublier qu’ils ont mal. Ca, c’est le conte de fée de la fiction transhumaniste qui s’en charge : vous vivrez jusqu’à 150 ans dit M. Jacques Attali. Et dans ce cas là on peut répondre Ainsi soit-il. Et puis il suffit que survienne une petite pandémie pour qu’apparaisse l’inaninté de ce rêve d’immortalité que nous a concocté une science qui se tient aux limites de la fiction pure et de l’optatif : Si seulement…
La foi véritable est toujours la quête d’un point fixe. Un point fixe et je soulèverait le monde dit Archimède. Ce point fixe, c’est l’AMEN qui nous l’indique. Essayez : vous verrez. Cela change tout.