Les hommes de bonne volonté

Le Gloria in excelsis fait partie, comme le Kyrie, du fond liturgique le plus ancien. Il était d’abord chanté en langue grecque. Dans le répertoire grégorien le Gloria XIV (disponible sur Internet) remonte à un chant byzantin plus ancien. Son insertion dans la liturgie de la messe est attribuée par le pape Innocent III (XIIIème siècle) au pape Télesphore (IIème siècle), sans que l’on puisse vérifier une telle antiquité. En tout état de cause, au IIème siècle, la liturgie romaine parlait souvent grec, c’était là l’effet d’une première mondialisation. Comme dit le Poète ; « La Grèce conquise avait conquis son farouche vainqueur », dans tous les domaines de la culture, y compris la liturgie chrétienne.
 
La première phrase est tirée du récit de la nativité et reprend le chant des anges dans la campagne de Bethlehem. Gloire à Dieu au plus haut des cieux : ce gloria est avant tout un chante de louange. La louange constamment présente dans les psaumes est la première fin de la prière. Gloire à Dieu et paix sur terre à ceux qui le louent.
 
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté traduit saint Jérôme, on pourrait presque dire : aux gens biens. Dans son De Libero arbitrio, saint Augustin se sert de ce verset évangélique. Il considère que tout homme, au fond de lui-même, se caractérise par la bona voluntas, la volonté du bien, que l’on trouve déjà chez Platon. Pour Augustin, le péché originel ne détruit pas cette volonté bonne, mais la rend plus difficile à suivre. Elle devient pure velléité et ne se raffermit que par la grâce. « Je ne fais pas le bien que j’aimerais faire et je fais le mal que je déteste » dit saint Paul (Rom. 7) dans le même sens. Kant reprendra  à Augustin (et à Rousseau) cette notion de volonté bonne, qu’il dressera en faveur de l’homme et de l’humanisme contre le matérialisme du XVIIIème siècle. Il y a dans l’homme, absolument indémontrable, un goût pour le bien qui na change pas d’une génération à l’autre – même si, remarquait déjà Origène, l’instinct humain n’est pas sûr et lui fait faire les pires choses sous apparence de bien.
 
Edouard Delebecque dans la traduction de l’Evangile de Luc qu’il a donnée aux Belles Lettres, souligne que ce passage peut se traduire par « les hommes du choix » de Dieu plutôt que « les gens de bonne volonté ». Il retrouve ainsi la notion de prédestination au bien, que l’on observe aussi chez saint Paul. Le mieux est peut-être de dire que les deux lectures sont possibles, pour un mot eudokia qui est peu utilisé comme substantif : paix sur terre aux hommes qui semblent bons (c’est de bonne volonté qu’il s’agit là) et paix sur terre aux hommes qui sont choisis par le Seigneur, qui Lui semblent bons. Cette richesse de sens peut être accueillie avec profit par chacun. Elle marque l’inévitable transcendance du bien. On la retrouve en français dans l’ambiguïté sonore de la traduction liturgique « paix aux hommes qui l’aiment » ou « paix aux homme qu’Il aime »…
 
Ce « chant angélique » comme on l’appelle, puisqu’il reprend le chant des anges dans la nuit de Noël, indique quel respect l’on porte à la liturgie, qui, comme dans le livre de l’Apocalypse, a lieu avec les anges. Ce sont les anges qui chantent la gloire de Dieu et qui constatent, vue de haut, la paix sur la terre si les hommes respectent Dieu. On retrouvera cette présence des anges à la fin de la Préface dans le chant du Sanctus. On ne peut pas comprendre la liturgie, si l’on refuse de considérer que ses premiers protagonistes sont des anges, les anges qui, comme naguère le Propitiatoire dans le Temple de Jérusalem, entourent toujours l’autel de part et d’autre et contribuent à porter nos prières jusqu’à Dieu.

Ce chant du Gloria est foncièrement joyeux, car reconnaître et louer la puissance de Dieu ne peut que nous mettre en joie. Pendant l’Avent et le Carême il n’y a pas de Gloria : la préoccupation est plus à la pénitence.
 

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