Le Kyrie est l’une des plus anciennes prières de la messe latine. Nous avons trace de cette invocation dès le IVème siècle à Antioche. On la trouve également dans le De sacramentis de saint Ambroise. Pour saint Grégoire le Grand, qui s’exprime ainsi dans une lettre, ce sont les Latins qui ont ajouté le Christe eleison, en langue grecque, en donnant ainsi un sens trinitaire à la prière : Kyrie, Christe, Kyrie, chacune de ces invocation étant répétée trois fois. La réforme liturgique a conservé cet antique vestige, mais en lui ôtant son sens trinitaire puisque les formules, Kyrie, Christe, Kyrie sont répétées deux fois, sans que cette répétition n’ait d’autre sens que purement pratique.
Faut-il penser que le Kyrie fait doublon avec le Confiteor (Je me confesse à Dieu) du début de la messe ? Certains prêtres ne veulent qu’un seul rite pénitentiel, peut-être pour ne pas culpabiliser les chrétiens, et ils se contentent du Kyrie, sans se rendre compte que les deux prières ne font pas nombre : le Confiteor durant les prières au bas de l’autel est une demande purement personnelle du prêtre et des assistants, alors que le Kyrie, à l’intérieur de la messe proprement dite (qui commence avec le signe de la croix de l’introït, nous l’avons dit) est une prière de l’Eglise
Cette demande de l’Eglise est une demande universelle comme l’Eglise est universelle. En témoigne une insigne relique de la liturgie gallicane, une lettre de l’évêque saint Germain de Paris (mort en 576) découverte en 1706 par Dom Martène dans la bibliothèque de l’abbaye d’Autun. Il décrit en ces termes le Kyrie eleison « Trois jeunes enfants suivent d’une seule voix le Kyrie eleison, [dans la liturgie] on parle en hébreu [à travers le mot Amen, en vérité] en grec et en latin, en signe des trois temps de l’histoire, avant la Loi, sous la Loi et sous la grâce ». Le Kyrie eleison s’est maintenue en langue grecque dans la liturgie latine et c’est un liturgiste gaulois du VIème siècle qui souligne ce caractère universel (catholique) de la prière de l’Eglise, qui prie pour les païens (« qui ont la loi inscrite dans leur coeur » dit saint Paul), pour les Hébreux (le peuple de la loi) et pour les Grecs. A propos des Grecs, saint Germain de Paris a cette belle formule : « Conservez honneur à la langue grecque, qui, pour l’Evangile du Christ, a été la première à offrir sa sonorité à son cantique ou à l’enseigner par ses lettres ».
On comprend la différence de ton entre le Confiteor, prière personnelle qui renvoie à ce que nous avons appelé le Je partagé, et le Kyrie eleison, prière universelle pour le pardon des péchés du monde. La liturgie gallicane, autant qu’on puisse la reconstituer, était très marquée par cette dimension universelle.
Soulignons enfin que le Kyrie eleison n’est pas purement pénitentiel. Dans les mélismes grégoriens, il y a le plus souvent un élan de louange sur le Kyrie et une dimension suppliante sur eleison, avec ce double E, Kyrie–eleison, où change le climat de la prière. De façon générale, le Kyrie eleison est le chant de ceux qui, grâce à l’Eglise universelle et devant Dieu, se savent exaucés, parce que leur demande de pardon est une demande de secours.