Chant d’entrée : Je suis ressuscité

Après avoir encensé l’autel – dernier préliminaire – le prêtre récite l’introït ou chant d’entrée, en faisant un signe de croix, qui marque la fin de l’avant messe et le début de la messe proprement dite. Cet introït, différent chaque dimanche ou propre à chaque fête de saint, n’est pas optionnel. Il marque l’esprit de telle célébration, je dirais pour filer la métaphore musicale qu’il donne le la à la fois spirituellement par son contenu et musicalement par le mode grégorien utilisé pour le chanter, mode méditatif, le quatrième par exemple, mode ample et joyeux (le 5ème, le 6ème ou le 7ème) ou mode plus courant (le 1er ou le 8ème). L’introït chanté peut servir de chant de procession pour l’entrée solennelle du clergé, à moins qu’il ne soit précédé – in plano, au tout début de la messe du dimanche – par l’Asperges me (qui devient le Vidi aquam au temps pascal).

Dans tous les cas, nous pouvons remarquer l’importance du chant grégorien dans la liturgie traditionnelle de l’Eglise romaine. Ce n’est pas un accompagnement extérieur à la cérémonie que l’on pourrait choisir à sa guise. Cette musique, qui, par sa simplicité monodique, est à la portée de tous, fait corps avec la liturgie. Elle porte jusqu’à nous des formes musicales qui sont plus que millénaires, et constituent des prières par elles-même, sans même que l’on ait besoin immédiatement des paroles qu’elles portent. Antoine de Saint-Exupéry a ces mots splendides sur le chant grégorien dans sa Lettre au général X : « Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles. Faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. Si j’avais la foi, il est bien certain que, passée cette époque de « job nécessaire et ingrat » [sa tâche de pilote de guerre désarmé : il laissera sa peau dans ses raids d’observation], je ne supporterais plus que Solesmes« , [le monastère français qui a redécouvert le chant grégorien sous l’impulsion de Dom Mocquereau]. Nous sommes loin de déclarations aussi entières, mais elles nous donnent une idée de la passion que peut susciter le chant grégorien dans une âme qui cherche. Quoi ? L’harmonie universelle et donc l’harmonisateur.

Je vais ici commenter l’introït de la fête de Pâques pour montrer comment l’extrait de psaume qui a été choisi donne le ton à toute la fête. On s’attendrait peut-être, pour la fête de Pâques, d’après les standards religieux d’aujourd’hui, à une joie débordante. C’est la paix méditative et un peu énigmatique qui s’offre à qui se laisse emporter par le chant grégorien (vous trouverez facilement l’enregistrement sur Youtube), paix de celui qui dans la foi espère la résurrection : peut-on faire autrement que de l’espérer ? :

« Je me suis relevé et je suis avec toi encore. Tu as posé ta main sur moi. Ta science est admirable.

C’est la prière du Christ homme à la sortie du tombeau. Quelle audace d’utiliser un psaume qui, au sens littéral, dit simplement la confiance absolue en Dieu qui traverse le psalmiste et qui au sens anagogique chante l’immense amour du Fils pour le Père, amour qui trouve des phrases humaines, amour qui traverse l’humanité désormais glorieuse du Christ. « Je me suis relevé ». Resurrexi. Le mot même de résurrection n’existe pas dans les langues anciennes, hébreu, grec ou latin. On disait faute de mieux : « Le Messie s’est relevé des morts ». Resurrexi : Je me suis relevé d’entre les morts et je suis à nouveau avec toi, Père. Tu as posé la main sur moi. Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as tu abandonné  (Ps. 21) dit Jésus juste avant de mourir. « Tu as posé la main sur moi » lui fait-on dire après sa résurrection.

J’ai volontairement ôté les alleluia qui ponctuent le répons de cet introït, tiré du psaume 138. Plus que de la joie, il y a beaucoup de sérénité dans cette mélodie, la sérénité de celui qui est revenu des portes de la mort. IL y a beaucoup de sérénité et quelque chose d’encore inaccompli, quelque chose qui ne sait pas comment ce miracle a pu transcender sa nature humaine : « Ta science s’est faite admirable » dans ce plan qui continue la création, dans cette résurrection « qui stupéfie toute la nature ». La résurrection n’est pas la fête à neuneu. C’est la fête de cette stupéfaction, que l’on retrouve dans la séquence Victimae paschali laudes. Je cite le latin, plus souple que le français : Mors et vita duello conflixere mirando. La mort et la vie se sont livré un duel admirable. Pourquoi admirable ? Parce qu’il abouti à la victoire de la vie et que cette victoire de la vie a eu lieu par la mort : « Le chef de la vie, mort, règne vivant ».

Seule la science divine, science admirable ! possède la clé de ce duel et de son issue prodigieuse. Elle nous porte une vérité nouvelle qu’il nous faut scruter : la mort n’est pas supprimée comme le pensait Jacques Attali avant le Corona. Elle est surmontée et cette victoire de la vie a des conséquences merveilleuse sur l’appréciation de la vie humaine, qui devient potentiellement une vie de ressuscité. Cela fait deux mille ans que le christianisme prêche le véritable transhumanisme. Cette vérité vaut bien un certain étonnement, non ?

Cet étonnement nous est indiqué nettement dans l’Introït, dans le mode 4 de sa mélodie comme dans les paroles qu’il utilise. Je n’ai commenté que le répons, mais le verset renforce sa signification et encore notre étonnement : « Seigneur, tu m’as éprouvé et tu m’as connu, tu as connu (comme nul autre) mon abaissement et ma résurrection ». La résurrection est un mystère divin, que Dieu donne à connaître tardivement dans l’histoire humaine. Elle ne se comprend vraiment qu’à travers l’abaissement de la passion.

Disons-le pour finir : l’immortalité de l’âme est une théorie philosophique dont Cajétan lui-même estimait qu’elle était difficile à prouver. Il importe, c’est la dernière leçon de cet Introït énigmatique, de ne pas confondre cette théorie avec le fait de la résurrection, qui ne se comprend que dans la science de Dieu. Décidément ce que j’aime dans la messe traditionnelle – on le retrouve dans cet Introït pascal – c’est que ceux qui ont créé ces rites de générations en générations n’avaient jamais la bassesse de nous dorer la pilule. Ils n’avaient pas l’outrecuidance d’attacher à l’enseigne de l’éclatez moi ça ce qui reste le grand mystère de notre foi, celui de la Toute puissance de Dieu ressuscitant son Christ et ceux qui croient en lui.

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