Après avoir confié la cérémonie à la puissance du Dieu qui a fait le ciel et la terre (et non pas à je ne sais quel charisme humain trop humain de je ne sais quel prêtre vedette), le rituel de la messe que nous expliquons comporte une double demande de pardon : celle du ministre d’abord, celle du peuple ensuite, le ministre et le peuple priant Dieu l’un pour l’autre. Cette demande de pardon n’est pas celle de l’Eglise, car tout péché est d’abord personnel. Cette demande de pardon est encore un de ces « Je partagé » dont je vous parlais à propos du Psaume 42. Chacun demande pardon d’abord pour lui-même : « Je me confesse à Dieu tout puissant ». Le prêtre donne l’exemple, il n’est évidemment pas au dessus de la faiblesse humaine et des tentations. Le peuple qui lui répond, chacun se reconnaissant pécheur, ne peut pas s’ériger en juge de son prêtre.
La nouvelle formule du Je confesse à Dieu se contente de souligner : « Je reconnais devant mes frères que j’ai péché ». Cette formule vous a un petit air d’autocritique à la chinoise qui, me semble-t-il dénature le sens du Je confesse à Dieu dans sa forme traditionnelle. Dieu ne nous demande pas ça. Il ne s’agit pas de « reconnaître devant nos frères que nous avons péché ». Le péché n’est pas une erreur qui nuirait à la Collectivité. C’est une offense faite à Dieu. Il me semble qu’il ne faut pas tout confondre, que nous ne ressentons pas forcément de péché pour le seul motif que nous aurions été désagréable avec le prochain (ne serait-ce que parce qu’il y a parfois de bons motifs de l’être). Bref autant la manière dont la forme traditionnelle du rite fait dialoguer le prêtre et l’assemblée en les mettant en prière les uns pour les autres me paraît belle, autant l’aspect autocritique de la nouvelle forme dilue le péché, en nous faisant oublier que ces péchés peuvent être effectivement contre soi-même, contre le prochain ou contre Dieu, mais qu’ils sont tous avant tout autant d’offenses faites à Dieu, à travers la déformation de son image en nous.
Mais Dieu est trop loin pour nous. Par le péché nous nous éloignons encore de lui. Il nous faut donc trouver des intercesseur, tenter de nouer une solidarité céleste avec la bienheureuse Marie toujours vierge, avec l’Archange qui a lutté contre Satan, Michel (cf. Apoc. 12), avec Jean-Baptiste le témoin de la Lumière, avec les apôtres Pierre et Paul qui ont veillé sur l’Eglise naissante, avec tous les saints connus, canonisés ou pas. On ne va pas à Dieu tout seul. Les saints sont des compagnons qui ont déjà été confrontés au défi que Dieu nous jette et qui peuvent nous aider, ce défi du salut, à le relever et à le gagner. Il y a trois autres listes de saints au cours de la liturgie : ces énumérations nous aident à nous sentir moins seuls.
Confiteor ! Quelle traduction proposer pour ce verbe construit sur la racine FAS, la parole autorisée. Je propose de traduire : J’en appelle, par une parole autorisée, au Dieu tout puissant ; j’en appelle à tous ces saints, à la personnalité unique de la Vierge Marie, sainte par nature, à Michel le chef des anges, au Précurseur du Seigneur, Jean-Baptiste, qui nous a fait passer son témoignage, et puis aux Princes des apôtres, Pierre et Paul, tous deux apôtres indignes et pécheurs, l’un parce qu’il a renié son Seigneur, l’autre parce qu’il a persécuté les chrétiens en cherchant à les mettre à mort. Quelle magnifique illustration de la communion des saints, de la solidarité entre les vivants et les morts, de la prière des morts pour les vivants, des vivants et des sauvés au ciel pour les mort-vivants de la terre, de ceux qui ont combattu et de ceux qui combattent encore et tentent de faire leurs preuves.
Deux mots sur ce verbe Confiteor et sur le double sens qu’il renferme : on retrouve cette amphibologie dans le titre que saint Augustin donne à ses Mémoires : les Confessions. Frédéric Boyer a un peu vite traduit : les aveux. Mais dans les confessions il n’y a pas que des aveux, il y a une proclamation, une affirmation forte de la primauté de la foi en Dieu. Ces deux sens du verbe confiteri ne sont pas absolument scindables. La confession de la foi et la confession des péchés, les deux attitudes vont ensemble, au point qu’elles ne sont pas séparables l’une de l’autre. Confiteor : en même temps je proclame ma foi et je pleure mes péchés.
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa… L’expression est passée dans le langage courant : un homme politique pris la main dans le sac n’a d’autre solution que de faire son mea culpa. Le chrétien, lui, dit devant son Dieu et devant toute la Cour céleste : C’est ma faute, c’est ma très grande faute. Il le dit solennellement et publiquement, d’où le fait qu’en répétant cette formule, on se frappe trois fois la poitrine. Il le dit non pas de manière accablée et comme en chuchotant, mais avec force, parce qu’en même temps qu’il affirme sa culpabilité, il affirme aussi sa foi dans le grand Pardonneur, sa certitude d’avoir été pardonné.
Aujourd’hui, on a souvent la contrition plus discrète. Mais le résultat est que l’on ne croit plus à la gravité du péché. On n’est plus dans l’espérance surnaturelle sur laquelle – rappelons-le- se termine le psaume 42 que nous venons de réciter. C’est pourtant ce psaume justement qui nous rappelle le double sens du mot confiteor Spera in Deo quoniam adhuc confitebor illi : Le sens du verbe confitebor est ici plutôt la proclamation de foi. Il est frappant que quelques instants plus tard (une minute) on emploie le même verbe dans le sens principal de la demande de pardon. J’ai toujours pensé que ces deux sens du mot confiteor s’accordait dans un même mouvement de l’âme contrite et fervente.