De la liturgie à l’écologie

Nous continuons notre explication mot à mot de la sainte Messe : « Notre secours est dans le Nom du Seigneur : il a fait le Ciel et la terre ». Cette invocation est classique au début d’un formulaire sacramentel, par exemple de mémoire, lorsque l’on porte la communion aux malades ou lorsque l’on bénit un mariage. La formule épiscopale de la bénédiction comporte aussi cette échange avec les fidèles.
 
Mais en réalité, ce sont deux notions très caractéristiques de l’Ancien Testament auxquelles on fait appel : le Nom de Dieu, son caractère secret et sa Puissance d’une part ; la beauté de la création tout entière qui manifeste la Puissance et la bonté de Dieu même quand on ne comprend plus rien. Dans cette double invocation, on trouve l’idée que le sacrement ou le sacramental n’est pas donné par le fidèle ou par le prêtre, mais par la force même de Dieu, qui est communiqué à celui que Dieu a choisi comme instrument visible de sa Toute puissance invisible : ni le prêtre ni les fidèles ne sont les auteurs du sacrement, qui est une action divine.
 
Son Nom, Dieu l’a donné d’abord à Moïse devant le Buisson ardent, c’est le premier don qu’Il lui fait, don destiné à authentifier sa mission auprès du peuple élu ; « Tu leur diras que Je suis m’envoie vers vous » (Gen. 3, 15). Ce Nom sacré était tellement saint qu’il n’était prononcé qu’une fois par an par le grand prêtre qui avait été tiré au sort pour entrer dans le Saint des Saint, ce sanctuaire où Dieu résidait. Sa prononciation authentique (la vocalisation des quatre consonnes qui forment le tétragramme sacré) est celle d’un autre nom : Adonaï, Kurios, Dominus, le Seigneur. D’où la fréquence de l’expression : le Nom du Seigneur, que l’on retrouve par exemple dans la bouche des juifs au dimanche des Rameaux : Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur. Manière pour eux de reconnaître la mission divine de Jésus de Nazareth, le Messie, Christos.
 
Comment comprendre ce Nom ? Il est très à la mode et pas contraire au texte de traduire Exode 3, 14, ce moment où Dieu donne son nom à Moïse par « Je suis qui je suis’ ou « Je suis qui je serai », ce qui revient à dire que Dieu livre, à travers son nom, la grande clé de son Mystère : JE. Dieu dit Je et l’homme est créé à son image car il est, dans toute la création matériel, le seul être capable de dire Je. 

Pour les philosophes médiévaux et déjà pour saint Augustin, Dieu est l’Etre. Ils comprennent le nom divin comme « Je suis celui qui suis ». Je suis l’être ou peut être de façon plus précise et plus juste : ‘Je suis le sujet de l’Etre’ ou je suis l’être comme sujet. Qui est en latin, Celui qui est en français, tel est le nom propre de Dieu pour saint Thomas d’Aquin. Ce Dieu être est nécessairement Infini et tout-puissant : « Mon Père agit toujours et moi aussi j’agis » dit Jésus en Saint Jean.
 
Cette action toute puissante est capable de créer « à partir de rien » (la formule se trouve déjà dans le deuxième livre des Macchabées). C’est la création qui est le grand signe de la Puissance divine. Comme dit le Psaume : « Les Cieux racontent la gloire de Dieu ». Qu’est-ce que la gloire ? « Une claire connaissance avec louange » disent les médiévaux. Plus on connaît la beauté de la création dans ses milliers de monde (l’infiniment grand) ou dans la complexité d’un oeil de mouche (l’infiniment petit), plus on peut chanter avec clarté la beauté du Créateur.
 
Les juifs ont affirmé avec force la grandeur de la Création, en en plaçant deux récits au commencement du Livre : la création, c’est la circonstance qui explique tout et en particulier le problème du mal. Souvent nous disons : mais comment Dieu peut-il exister avec ce mal sur la terre ? (les virus par exemple en ce moment). Les juifs faisaient exactement la démarche inverse : Dieu a créé le Ciel et la terre : c’est un point acquis. Comment peut-il tolérer le mal ? En posant la question dans ce sens là, ils pouvaient dire – comme Job par exemple : nous ne comprenons pas, mais nous attendons, nous comprendrons un jour : « Un jour mon juste se lèvera de la poussière » peut-on lire dans Job qui insiste tant sur la puissance du mal sur la terre, mais qui commence à lever le voile sur le plan divin, en évoquant de façon prophétique dans ce verset la résurrection. La beauté de la création lui sert d’argument pour expliquer à ses quatre amis un peu bigots que Dieu n’a pas dit son dernier mot et qu’il n’en restera pas là, qu’il ne peut pas en rester à cette manifestation de force du Mal, manifestation qui l’a terrassé lui Job, et qu’il faut rester calme car Il est le Dieu qui a tout créé (Ps. 46, 10). Le monde définitif, le Royaume n’est pas encore advenu. Dans la tradition juive, il suffit d’attendre le Seigneur. Dans la tradition chrétienne il est déjà advenu mystiquement : « Le Royaume est au milieu de nous ». En tout cas, Dieu nous a laissé son Nom en gage pour le salut de l’univers qu’il a créé.
 
C’est saint Paul qui reprend, à la lumière du Christ, l’intuition de Job : devant la puissance du mal, il ne sert à rien de se troubler, il faut attendre. Au chapitre 8 de l’Epître aux Romains, il voit tout l’univers en attente de ce qu’il a appelé en Galates (6) « une nouvelle création »: « Car la création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec une espérance pourtant : car la création elle-même sera aussi affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rom. 8, 19-21). J’ai pris une version littérale du texte de saint Paul. On voit qu’en bon juif, ou comme Job (le patriarche, qui d’ailleurs n’était pas juif, venant de la terre d’Hus), saint Paul part du fait de la création. Et il postule que la gloire et la puissance de Dieu ne peuvent s’arrêter au spectacle que cette création donne à voir, que Dieu n’a pas fait tout cela pour le néant, qu’une nouvelle création est en attente qui manifestera la gloire de l’Ouvrier divin et qu’à travers l’homme c’est toute la création qui aspirera « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ». L’homme bon, qui vit selon la loi de Dieu est le sauveur de la création tout entière, qui trouvera au Ciel une réalisation plus majestueuse encore qu’ici-bas.
 
Les sacrements ou les sacramentaux anticipent sur cette nouvelle création. Ils donnent à l’homme une force nouvelle pour l’aventure du salut de cette création tout entière. Chaque messe rappelle ainsi la Puissance du Dieu créateur, puissance infinie, puissance qui dépasse cette création puisqu’elle repose sur le Nom sacré : Je suis. L’écologie intégrale a donc quelque chose de fascinant si l’on comprend, à travers le texte de saint Paul, que ce sont les hommes sauvés qui sauvent avec eux toute la création, que cette création, trésor de formes et d’harmonies, n’est pas une action en vain, mais une action divine.

« Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le Ciel et la terre » : l’invocation au créateur du ciel et de la terre, là où elle est placée, au début de la cérémonie, après la lecture du psaume 42 donne à l’action liturgique une dimension cosmique. L’homme aujourd’hui marqué par le péché originel, est le grand prédateur du cosmos. Mais il peut encore se convertir et cette conversion exauce l’attente universelle et permet à Dieu, à travers l’homme qui est son image, de sauver la création du néant, en en faisant pour toujours, dans une création nouvelle, l’environnement des élus.

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