Après cette demande de pardon, le rituel de la messe nous propose deux versets du psaume 84 : « O Dieu, tu t’es tourné vers nous pour nous donner la vie. Montre nous ta miséricorde et donne nous ton salut ». Etudions de près ces versets qui paraissent si simples.
Deus tu conversus…. Le psaume 42 était un psaume d’ambiance. Le Confiteor relève des préliminaires : il faut éliminer ce péché qui est entre Dieu et nous. Mais le psaume 84 est la première prière directe à Dieu. Surprise : on demande à Dieu de se tourner vers nous, de se… convertir (c’est le mot latin : conversus). On aurait attendu que ce soit l’homme qui se convertisse, qui se tourne vers Dieu. C’est au contraire à Dieu que l’on demande de se tourner vers l’homme d’abord. Pourquoi ?
Parce que si ce n’est pas Dieu qui fait le premier pas, l’homme peut bien tenter de se tourner vers Lui : il n’y arrive pas par lui-même. C’est Dieu qui nous a aimé le premier dit l’apôtre Jean dans son Epître. C’est lui qui nous donne la première grâce, sans laquelle nous ne sortirions pas de notre égoïsme natif et sans laquelle nous resterions devant lui sans plan et sans projet. Oh ! Nous pourrions bien avoir l’impression de nous tourner vers lui les premiers, de nous intéresser à lui avant qu’il ne s’intéresse à nous : ce serait un intérêt factice. Nous pourrions avoir l’impression que nous sommes nous-mêmes les « convertis » (conversi) et en être intimement très fiers. Mais si nous nous rengorgions de cette conversion-là, nous serions dans l’illusion. D’abord, ce n’est pas la nôtre, c’est la sienne qui importe.
Deus tu conversus. Tout ne peut vraiment commencer que si c’est Dieu d’abord qui se tourne vers nous, Dieu qui suscite le désir de le connaître et de l’aimer dans nos coeurs, et c’est parce que c’est Dieu qui s’est intéressé à nous en premier, parce que c’est Dieu qui nous a touchés au coeur que nous pouvons en vérité nous tourner vers Lui. A ce moment, notre vie s’accomplit, telle que Dieu l’a voulu de toute éternité : nous pouvons caracoler en toute sécurité, répétant par exemple la belle devise de Saint-Cyran : « Il faut aller où Dieu mène et ne rien faire lâchement ». Si nous avons compris notre première grâce, nous sommes vraiment à lui. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisi, pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ».
« Tu nous vivifieras ». Vivificabis nos : j’aimerais traduire : Tu nous donneras toute notre vitalité. Il ne s’agit pas encore là me semble-t-il de la vie éternelle, cela vient à la fin, il s’agit d’abord de la vitalité spirituelle, de l’accord qui s’établit entre notre vocation (tout le monde en a une, quelle qu’elle soit, le bon larron en a eu une, magnifique) et notre vie concrète. Si nous sommes si ordinairement sujets à la tristesse ou à la mélancolie (comme l’a chanté le psaume 42), c’est que nous sommes divisés et que cette division nous fait mal. « Toute cité divisée contre elle-même périt et maison sur maison s’effondre ».
C’est en nous lançant le premier appel que le Seigneur nous vitalise : il nous réveille, il nous réunit, chacun à soi-même, et nous permet alors, une fois réunis à nous mêmes, d’envisager notre vie comme la sienne, comme une création jamais finie, sur laquelle il veille personnellement. Et c’est la conjonction entre la grâce première et notre liberté qu’elle suscite qui nous donne à tous cet élan que l’on appelle communément la joie : « Et ton peuple se réjouira en toi ». Cette joie est d’autant plus profonde qu’elle ne vient pas seulement de nous, mais de cette conjonction, de cet amour senti entre Dieu et chacun.
La messe est le moment où cette conjonction entre la volonté salutaire de Dieu et notre liberté nous est rendue sensible, au point que le Seigneur n’a besoin que de nous « montrer sa miséricorde » pour que nous soyons capable de « recevoir son salut ».