Article de M. l’abbé de Tanoüarn
Le très beau verset que nous venons de commenter, et qui sert d’introduction aux saints mystères est utilisé comme un refrain qui ponctue la récitation intégrale de ce psaume 42. Pourquoi ce psaume à cet endroit stratégique ? Parce qu’il porte une vision de la nature humaine en proie au mal et aux méchants, à la tristesse et à un sentiment de l’éloignement de Dieu. Ce psaume ne raconte pas de carabistouille sur ce monde humain qui serait un monde idyllique. La première expérience à faire si l’on veut s’approcher de Dieu, c’est l’expérience du mal ou l’expérience du manque. Même le Christ est allé au désert « pour y être tenté par le diable, après avoir jeûné pendant quarante jours ». C’est souvent cette expérience du mal (du péché personnel, de son impuissance à faire le bien, de ses limites, de ses failles, de la méchanceté à laquelle on se trouve en butte) qui nous permet de nous tourner vers Dieu avec force.
Je me demande si le Coronavirus a laissé parmi nous beaucoup de bisounours. Ce n’est pas sûr. Je pense aussi qu’il a tourné des hommes vers Dieu, si on en croit les chiffres d’audience de l’émission le Jour du Seigneur dimanche dernier : 1, 2 Million de téléspectateurs. Plus que de pratiquants un dimanche ordinaire. Marcel Gauchet, cité par François Huguenin, a pris acte du tsunami moral que représente le virus Corona. Dans Philomag, il explique : « Personne ne peut préjuger de l’ampleur qu’aura cet événement – le Coronavirus – mais la secousse intellectuelle et idéologique est majeure ». Je préciserai la pensée prudente de Gauchet en disant en quoi consiste cette secousse idéologique majeure : le vieil optimisme des Lumières, la foi en l’homme qu’avait découverte le concile Vatican II, tout cela est bel et bon, mais c’était avant le drame… Je pense à l’avertissement solennel du prophète Jérémie : « Malheur à l’homme qui se confie dans l’homme » (17, 5). Cet événement nous fait prendre conscience de la fragilité de l’humain, de la précarité de nos temps, officiellement dédiés au Progrès.Une petite gripette en Chine et les morts se multiplient partout dans le monde. On trouvera un vaccin ou un remède ? Mais un nouveau virus naîtra…
Si nous nous tournons vers Dieu, c’est parce que, comme le disait saint François Xavier méditant à Paris sur ses grands projets missionnaires à venir : « le monde est un menteur, qui ne tient jamais ses promesses ». Cette phrase m’a toujours beaucoup marqué parce que tourne et retourne, je la crois vraie, je veux dire : vérifiable, aussi bien dans la vie personnelle que dans l’histoire universelle. L’histoire ? Dans les années 80, on a pu croire à l’histoire distribuant le bonheur à tous, on a imaginé ce temps comme s’il s’agissait d’un nouveau départ de l’univers, vivant la fable de la prospérité mondiale. Aujourd’hui la mondialisation heureuse est terminée, comme nous le disons dans le prochain numéro de Monde et vie. Coronavirus oblige, nous avons compris que cet optimisme béat, c’était juste une idéologie comme les autres. Nous sommes donc prêts à entendre le message existentiel du Psaume 42.
« Rends moi justice Seigneur et vois la différence entre ma cause et celle d’un peuple qui n’est pas saint ». A travers les siècles, de l’Ancien au Nouveau Testament, et jusqu’à nos jours, le psalmiste offre son message au fidèle qui s’approche de l’autel et qui se sent victime d’injustice, comme Job autrefois, le patriarche du pays d’Hus. Le fidèle a l’impression, lui qui cherche Dieu, que Dieu le confond avec le reste de la population. Ce sera le soupir de sainte Thérèse d’Avila : « Si vous traitez ainsi vos amis Seigneur, je comprends pourquoi vous en avez si peu ». Un tel pessimisme, qui est avec Dieu à la limite de la revendication ou de la récrimination, une telle franchise m’a toujours surpris. C’est la première prière que nous faisons à Dieu au cours de la sainte messe, et quelle prière ! Nous qui nous précipitons au pied de son autel, nous avons besoin de Lui, il nous manque. N’est-ce pas au double sens de ce terme que Dieu nous a manqué ? Voilà l’audace de la messe traditionnelle : rappeler cette dette de Dieu à notre égard, dette d’amour qu’il paye par son sacrifice sur la croix.
« Lève toi ! Pourquoi tu dors Seigneur ? » dit un autre psaume. Pendant la tempête, pendant nos tempêtes, Jésus dort, la tête sur un coussin précise saint Marc. « Seigneur, sauve-nous, nous périssons » lui lancent ses apôtres.
A ce dramatique problème du mal que la sainte liturgie ne cherche pas à éluder, mais formule d’emblée, et en toute honnêteté, d’ailleurs non sans raideur il faut le dire, la seule réponse c’est le sacrifice du Christ sur la Croix. Dieu connaît la souffrance. Dieu se fait homme pour vivre la souffrance de l’homme et lui donner un sens : voilà la réponse que porte la sainte messe elle-même, car, nous le verrons, nous l’expliquerons, elle est identique au sacrifice de la Croix. Quant à la justice que recherche le psalmiste, elle est et elle restera toujours une justice introuvable. « Discerne ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint ». Dieu ne répond à cette demande que par l’amour. Et, nous pouvons parfois en être jaloux, il ne le faut à aucun prix : par l’amour de tous.
Devant Dieu, ne cherche pas ton droit : le sommet du droit est le sommet de l’injustice. Le poète de Martigues était inspiré en écrivant ce vers : « O Plateau de vaine justice, balance, le plus faux des symboles divins ». Le Christ, Fils de Dieu, accomplit toute justice, comme il le dit à Jean-Baptiste, non pas en mégotant pour rendre à chacun au centime près ce qui lui est dû, mais en s’offrant, en souffrant, en s’abaissant, en se donnant, en s’oubliant. Voilà sa réponse au problème du mal, une réponse divine. Il n’y en a pas d’autre dans aucune philosophie, dans aucune autre religion.
J’aime beaucoup une phrase de Simone Weil, qui, me semble-t-il, n’épuisera jamais sa puissance explicative, face au scandale du mal dans le monde, qui est inextricablement, le scandale de la croix du Christ, le scandale de la messe, où le Christ se laisse à la merci des passants, et le scandale de tout innocent qui souffre. Voici la phrase : « Le mal est à l’amour ce que le mystère est à l’intelligence : il le rend surnaturel » Que signifie ce mot : surnaturel ?
Je me demande si le Coronavirus a laissé parmi nous beaucoup de bisounours. Ce n’est pas sûr. Je pense aussi qu’il a tourné des hommes vers Dieu, si on en croit les chiffres d’audience de l’émission le Jour du Seigneur dimanche dernier : 1, 2 Million de téléspectateurs. Plus que de pratiquants un dimanche ordinaire. Marcel Gauchet, cité par François Huguenin, a pris acte du tsunami moral que représente le virus Corona. Dans Philomag, il explique : « Personne ne peut préjuger de l’ampleur qu’aura cet événement – le Coronavirus – mais la secousse intellectuelle et idéologique est majeure ». Je préciserai la pensée prudente de Gauchet en disant en quoi consiste cette secousse idéologique majeure : le vieil optimisme des Lumières, la foi en l’homme qu’avait découverte le concile Vatican II, tout cela est bel et bon, mais c’était avant le drame… Je pense à l’avertissement solennel du prophète Jérémie : « Malheur à l’homme qui se confie dans l’homme » (17, 5). Cet événement nous fait prendre conscience de la fragilité de l’humain, de la précarité de nos temps, officiellement dédiés au Progrès.Une petite gripette en Chine et les morts se multiplient partout dans le monde. On trouvera un vaccin ou un remède ? Mais un nouveau virus naîtra…
Si nous nous tournons vers Dieu, c’est parce que, comme le disait saint François Xavier méditant à Paris sur ses grands projets missionnaires à venir : « le monde est un menteur, qui ne tient jamais ses promesses ». Cette phrase m’a toujours beaucoup marqué parce que tourne et retourne, je la crois vraie, je veux dire : vérifiable, aussi bien dans la vie personnelle que dans l’histoire universelle. L’histoire ? Dans les années 80, on a pu croire à l’histoire distribuant le bonheur à tous, on a imaginé ce temps comme s’il s’agissait d’un nouveau départ de l’univers, vivant la fable de la prospérité mondiale. Aujourd’hui la mondialisation heureuse est terminée, comme nous le disons dans le prochain numéro de Monde et vie. Coronavirus oblige, nous avons compris que cet optimisme béat, c’était juste une idéologie comme les autres. Nous sommes donc prêts à entendre le message existentiel du Psaume 42.
« Rends moi justice Seigneur et vois la différence entre ma cause et celle d’un peuple qui n’est pas saint ». A travers les siècles, de l’Ancien au Nouveau Testament, et jusqu’à nos jours, le psalmiste offre son message au fidèle qui s’approche de l’autel et qui se sent victime d’injustice, comme Job autrefois, le patriarche du pays d’Hus. Le fidèle a l’impression, lui qui cherche Dieu, que Dieu le confond avec le reste de la population. Ce sera le soupir de sainte Thérèse d’Avila : « Si vous traitez ainsi vos amis Seigneur, je comprends pourquoi vous en avez si peu ». Un tel pessimisme, qui est avec Dieu à la limite de la revendication ou de la récrimination, une telle franchise m’a toujours surpris. C’est la première prière que nous faisons à Dieu au cours de la sainte messe, et quelle prière ! Nous qui nous précipitons au pied de son autel, nous avons besoin de Lui, il nous manque. N’est-ce pas au double sens de ce terme que Dieu nous a manqué ? Voilà l’audace de la messe traditionnelle : rappeler cette dette de Dieu à notre égard, dette d’amour qu’il paye par son sacrifice sur la croix.
« Lève toi ! Pourquoi tu dors Seigneur ? » dit un autre psaume. Pendant la tempête, pendant nos tempêtes, Jésus dort, la tête sur un coussin précise saint Marc. « Seigneur, sauve-nous, nous périssons » lui lancent ses apôtres.
A ce dramatique problème du mal que la sainte liturgie ne cherche pas à éluder, mais formule d’emblée, et en toute honnêteté, d’ailleurs non sans raideur il faut le dire, la seule réponse c’est le sacrifice du Christ sur la Croix. Dieu connaît la souffrance. Dieu se fait homme pour vivre la souffrance de l’homme et lui donner un sens : voilà la réponse que porte la sainte messe elle-même, car, nous le verrons, nous l’expliquerons, elle est identique au sacrifice de la Croix. Quant à la justice que recherche le psalmiste, elle est et elle restera toujours une justice introuvable. « Discerne ma cause de celle d’un peuple qui n’est pas saint ». Dieu ne répond à cette demande que par l’amour. Et, nous pouvons parfois en être jaloux, il ne le faut à aucun prix : par l’amour de tous.
Devant Dieu, ne cherche pas ton droit : le sommet du droit est le sommet de l’injustice. Le poète de Martigues était inspiré en écrivant ce vers : « O Plateau de vaine justice, balance, le plus faux des symboles divins ». Le Christ, Fils de Dieu, accomplit toute justice, comme il le dit à Jean-Baptiste, non pas en mégotant pour rendre à chacun au centime près ce qui lui est dû, mais en s’offrant, en souffrant, en s’abaissant, en se donnant, en s’oubliant. Voilà sa réponse au problème du mal, une réponse divine. Il n’y en a pas d’autre dans aucune philosophie, dans aucune autre religion.
J’aime beaucoup une phrase de Simone Weil, qui, me semble-t-il, n’épuisera jamais sa puissance explicative, face au scandale du mal dans le monde, qui est inextricablement, le scandale de la croix du Christ, le scandale de la messe, où le Christ se laisse à la merci des passants, et le scandale de tout innocent qui souffre. Voici la phrase : « Le mal est à l’amour ce que le mystère est à l’intelligence : il le rend surnaturel » Que signifie ce mot : surnaturel ?