Le péché : attention ça glisse

Pro innumerabilibus peccatis… A quoi sert le sacrifice ? Que compense ce don sacré ? Aujourd’hui on estime qu’il n’y a rien à compenser que Dieu sera toujours assez bon pour nous prendre tels que nous sommes, qu’il pardonne nécessairement et qu’en un mot, comme chantait Polnareff, on ira tous au paradis. Et on oublie qu’étymologiquement, d’après la vieille sagesse de la langue, il n’y a pas de miséricorde pour qui ne reconnaît pas sa misère. Dostoïevsky était ému de cette bonté divine, qui ne nous demande que de reconnaître nos fautes comme des fautes, pour nous les pardonner (voir entretien d’Aliocha avec le staretz Zossime).
 
Problème : nous ne sommes pas parfaitement conscients de toutes nos fautes. Nous ne pouvons pas les dénombrer. Elles sont innombrables, non seulement parce qu’elles sont très nombreuses mais surtout parce qu’elles ne se comptent plus ; c’est notre nature, qui malgré un bon fond, est portée vers le mal. Se laisser vivre, c’est nécessairement pécher. Le péché n’est pas seulement cette erreur de guidage qui interviendrait de temps en temps, il est une tendance lourde de notre être , à travers l’égoïsme, l’égocentrisme, la paresse, la luxure etc. nous pouvons connaître chacun l’endurcissement dans le mal.
 
Ce péché (peccatum) est une offense (offensio) à Dieu, une manière (il y en a des milliers possibles) de se réaliser comme créature en dehors de lui, une réalisation aberrante de notre liberté. Pourquoi le péché est-il grave ? Parce qu’il nous pousse à rechercher l’infini pour lequel nous sommes faits en dehors de l’Infini divin. Ainsi nous laissant aller à cette logique de l’infini en dehors de l’Infini divin, nous sommes tous capables du pire, devenus esclaves de l’Indéfini, de l’indéfinissable, de l’innommable même parfois : le péché est une réalité glissante ! C’est ce qu’indique bien la formule de l’offertoire, qui ajoute aux péchés (peccatis : l’erreur de guidage) et aux offenses (faites à Dieu) les « négligences ». Pour nous qui sommes marqués par le péché originel, mal sortis de l’animalité, la négligence, c’est peut-être ce qu’il y a de pire car c’est la porte ouverte à tous péchés. Il suffit de se laisser être, de se « négliger », pour être dans le péché jusqu’au cou.
 
La prière sacrificielle de l’offertoire ne concerne pas seulement le prêtre, pas seulement non plus les bons élèves de la classe, ceux qui s’exercent à prier avec dévotion, il concerne tout le monde et d’abord l’ensemble de l’assemblée (pro omnibus circumstantibus : ceux qui sont debout à l’entour) et plus largement encore tous les chrétiens, tous les baptisés (par l’eau ou par le désir) qui reconnaissent leur foi dans cette cérémonie christique : c’est ici le dogme de la communion des saints, de la solidarité entre tous ceux qui cherchent Dieu, d’un côté ou de l’autre du voile des apparences : le sacrifice a de droit une portée universelle : pour moi et pour tous les autres, les vivants et les morts.
 
Que pour moi et pour eux, ce sacrifice nous fasse progresser vers le salut dans la vie éternelle. L’essentiel de la messe, de ce sacrifice de l’homme provoqué par le sacrifice divin, c’est cette divine métamorphose par laquelle non pas seulement nous devenons immortels mais nous entrons dans la vie éternelle, nous changeons de biotope, nous nous familiarisons avec le milieu divin, « Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle ».

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