Il n’y a pas grand chose à dire de l’homélie, sinon qu’elle doit faire partie, à sa manière, de l’action liturgique, en apparaissant comme un commentaire de telle ou telle partie du propre ou du commun de la messe.
Les sermons magistraux des Bossuet et des Bourdaloue, comme plus tard les célèbres conférences de Notre-Dame n’avaient pas lieu durant la messe, mais à l’attention d’un public qui revenait spécialement le dimanche après-midi pour écouter le prédicateur. Madame de Sévigné aimait « aller en Bourdaloue » comme elle disait, Bourdaloue qu’elle préférait à Bossuet à cause de sa grande clarté. Bossuet faisait du beau. Bourdaloue de l’utilisable.
Dans la vieille chrétienté, on avait trop conscience de la grandeur de la liturgie pour mêler le sermon, parole humaine, et la messe, parole divino-humaine. Du XVIème au XIXème siècle, les curés faisaient des prônes, lisant l’Evangile en français, annonçant les baptêmes, les mariages et les enterrements et donnant lecture des édits épiscopaux, royaux ou impériaux sans oublier les nouvelles d’intérêt général (les dates de la moisson par exemple). Le prône était le miroir de la communauté. Mais ce n’était qu’un prône.
Il ne faudrait pas que le sermon soit le miroir du prédicateur. Et pourtant tout prédicateur est accessible à cette tentation du miroir.
Prône ou pas prône, la prédication a toujours existé, En saint Jean-Baptiste, elle est même antérieure à la mission du Christ dont Jean est le précurseur : « il n’était pas la lumière mais pour rendre témoignage à la lumière ». Le Christ est seul la lumière des nations… L’insistance de l’évangéliste est lourde à l’égard du premier des prédicateur : lui disait simplement à son propre propos qu’il n’était que « la lampe de la Lumière » (Jean 3)
On connaît également le texte de saint Paul sur la prédication – simplement admirable et que je cite ici bien au long : pourtant, le début est difficile à interpréter, l’apôtre évoque la sagesse de la raison, insuffisante, mais non pas mauvaise en elle-même et il la compare à « la folie de la prédication » : « Puisque dans la sagesse [créatrice] de Dieu le monde n’a point connu Dieu par la sagesse, il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie de la prédication: Et tandis que les Juifs demandent des signes, et que les Grecs cherchent la sagesse, nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens ; mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
La prédication est l’instrument de toutes les conversions, la première, la deuxième, la troisième. Elle mène à la voie purgative (à la pénitence) à la voie illuminative (à la lumière) et à la voie unitive dans son Mystère insondable. Mais pour tout cela, disons-le une bonne fois, la prédication est un instrument disproportionné, le prédicateur doit avoir conscience de cette disproportion folle, entre une parole humaine et la volonté divine de salut que cette parole est censée porter aux hommes. La folie de la prédication est tout entière dans la conscience que l’on doit prendre de cette disproportion. Saint Paul ne pousse pas les prédicateur à la folie rhétorique, verbale ou verbeuse. Lui-même d’ailleurs ne semble pas avoir été un orateur de première force (cf. II Co 10) Il ne demande pas forcément aux presbuteroi qu’il ordonne de trouver les accents du télévangéliste américain. Il faut prêcher la vérité du Christ, la vérité qui suffit à tout, qui est féconde par elle-même : « Ce qu’en fin de compte on demande à des intendants, c’est qu’ils soient trouvés fidèles » (I Co, 4, 2).
Qu’est-ce qu’être fidèle pour un prédicateur ? Avant tout avoir conscience du décalage entre le moyen naturel de la prédication et l’effet surnaturel ou divin (la conversion) qui est recherché. Ensuite savoir qu’en chaque homme et en chaque femme c’est le maître intérieur dont parle saint Augustin qui transforme les pauvres paroles du prédicateur en paroles de salut : occasions humaines d’une prise de conscience divine. Saint Augustin a merveilleusement compris qu’à l’occasion de la parole extérieure, c’est le maître intérieur qui nous parle,à chacun en son intimité : « C’est le maître intérieur qui instruit, c’est le Christ qui instruit, c’est son inspiration qui instruit. Là où ne sont pas son inspiration et son onction, c’est en vain qu’au dehors retentissent les paroles » (In Jo Ep. 3, 13 in SC 75 pp. 210-211). La foi n’est rien d’autre que la prise de conscience du Saint Esprit en nous. Dans cette perspective, le prédicateur n’est que l’allume feu.
La bonne homélie celle qui pour tel ou tel peut devenir l’allume feu, sans forcément que le prédicateur y ait compris grand chose à ce qui se passe dans la tête et dans le coeur de celui qui l’écoute. Combien de fois ai-je fait cette expérience : « Votre sermon était très beau – Qu’est-ce qui vous a plu ? » La réponse est souvent déroutante. Il ne s’agit pas forcément d’un thème ou d’une idée que j’avais voulu développer, parfois c’est juste un accent, une allusion, un mot qui rappelle à l’auditeur un problème qu’il se pose depuis longtemps.. Disons que dans le meilleur des cas le prédicateur n’y voit que du feu : le feu du Saint Esprit, clair pour chacun, obscure pour celui qui n’est pas touché de cette manière.