Les interrogatoires de nuit

DEUXIÈME PARTIE : Le jugement de Jésus-Christ

Le Sauveur ne subit pas moins de six interrogatoires : deux pendant la nuit du jeudi, quatre dans la matinée du vendredi.

Chapitre 1 : Les interrogatoires de nuit

 On sait que le Seigneur fut arrêté le jeudi soir au Jardin de Gethsémani. Il pouvait être à peu près 23 h. Les satellites du Sanhédrin le ramenèrent promptement de Gethsémani, sur le mont Sion, à la demeure d’Anne, l’ex-grand-prêtre.

1. Chez Anne

Il était environ minuit quand Jésus franchit le seuil de la maison d’Anne. Saint Jean est le seul évangéliste qui mentionne le premier interrogatoire (Jn 18, 13-24). A bien comprendre, il ne s’agirait encore que d’une audience préliminaire. Ne fallait-il pas gagner du temps pour permettre aux membres du Sanhédrin, dispersés dans la ville, de se réunir cher Caïphe ? On espérait aussi que Jésus laisserait échapper quelques paroles compromettantes qui motiveraient sa condamnation.

Voici donc Jésus devant l’ex-grand-prêtre. Tout autour se tiennent les soudards du Sanhédrin et les valets du Pontife ; ils ne quittent pas des yeux leur prisonnier. A la lumière vacillante des torches, on les voit déjà s’apprêtant à ricaner. L’apôtre Jean, voulant suivre son maître jusqu’au bout, s’est introduit dans l’atrium. Simon Pierre l’a rejoint timidement. Tous deux se chauffent devant le brasier, dans la cour. C’est à ce moment, chez Anne, que Pierre dût renier son Maître pour la première fois (Jn 18, 16-17).

Anne interrogea alors Jésus. Ses questions portaient sur deux points : qui étaient les partisans du Galiléen ? Quelles étaient ses doctrines ? (Jn 18, 19). Questions perfides, assurément. Aussi le rusé grand-prêtre se flattait-il de surprendre, dans les réponse du Christ, un mot ou deux qui révéleraient le « novateur », « séditieux », le « faux prophète ». Car en fait, c’est bien là qu’il fallait en venir.

Jésus déjoua la manœuvre en déclarant qu’il n’avait pas à s’expliquer. Il avait agi et parlé publiquement, jamais en secret ; on pouvait interroger ceux qui l’avaient vu et entendu ; n’ayant rien caché, il n’avait rien à révéler. Cette attitude, si digne, fut jugée outrageante. Pour faire du zèle, un valet s’approcha et souffleta Jésus. Celui-ci se contenta de répondre par un dilemme, auquel personne ne trouva rien à redire : « si mon langage est répréhensible, montre en quoi j’ai failli ; s’il ne l’est pas, pourquoi me frappez-vous ». Ce fut tout.

Anne ne prononça point de condamnation. Ce qui prouve bien que l’audience n’était pas juridique, mais seulement préliminaire. On sait d’ailleurs que, d’après l’usage, une sentence capitale ne pouvait être portée que le lendemain de la comparution de l’accusé. En ces circonstances, il devenait impossible de remplir cette formalité. Le temps pressait (Mc 14, 2).

2. Chez Caïphe

 Un peu avant le premier chant du coq, c’est-à-dire vers deux heures après minuit, s’ouvrit le second interrogatoire du Sauveur. Il ne fallut guère moins d’une heure et demie à deux heures pour réunir, chez le grand-prêtre, presque tout le Sanhédrin (il manquait très certainement quelques membres, tel Joseph d’Arimathie et Nicodème) et pour rassembler les témoins.

Cette fois-ci, c’est bien le procès ecclésiastique et religieux qui allait s’instruire, comme plus tard, le lendemain, s’instruisit chez Pilate le procès civil et politique.

Mais la procédure contre le Christ ne fut régulière qu’en apparence. On voulait le condamner, non instruire sa cause. C’était une affaire arrangée, rien de plus évident.

On amena donc Jésus du tribunal d’Anne au  tribunal du grand-prêtre « de cette année-là ». La distance n’était pas considérable ; peut-être Caïphe et son beau-père habitaient-ils les deux ailes d’un palais commun sur Sion (Fouard, La vie de Jésus, t. 2, p. 301, note 1).

D’ordinaire, on procédait avec méthode. Il eût d’abord fallu produire l’accusation, interroger l’accusé ensuite, ainsi que les témoins à charge et à décharge, qui étaient à entendre séparément. Enfin, recueillir les voix et prononcer la sentence. En réalité, tout se passe sans ordre et dans le plus grand tumulte. Pour Caïphe et le Sanhédrin, peu importait. On se contenta d’un simulacre de procès, nécessaire à cause de l’opinion.

Bien qu’il fût sûr de son conseil, Caïphe conduisit son affaire avec une infernale habileté. Des témoins furent subornés pour compromettre Jésus aux yeux des prêtres du Sanhédrin, lesquels appartenaient presque tous à la secte des sadducéens. Or, pour les sadducéens, le Temple et les cérémonies étaient choses absolument intangibles. C’est dire combien toute parole attentatoire à la dignité et, surtout, à l’existence du sanctuaire devait les exaspérer. Précisément, les témoins arguèrent de ce grief contre Jésus : « Cet homme-là, s’écrièrent-ils, a dit : je puis détruire le Temple de Dieu et le reconstruire en trois jours » (Mt 26, 61 ; Mc 14, 58). Pourtant, ils ne s’accordèrent absolument pas entre eux. Des divergences se produisirent dans leur déposition. L’affaire devenait dès lors très embarrassante. Que faire ?

Caïphe ne se déconcerta pas. Il posa brusquement la question à Jésus, celle qui devait appeler une réponse de nature à tout emporter : « Au nom du Dieu vivant, s’écria-t-il, je t’adjure de nous dire si tu es le Christ, le Fils de dieu. Et jésus qui s’était tu jusque-là, de répondre : tu l’as dit : je le suis » (Mt 26, 63-64 ; Mc 14, 61-62). Alors le Pontife et toute l’assemblée vociférèrent en tumulte : « Il a blasphémé ! Il a blasphémé ! A quoi bon maintenant des témoins ? » Le Galiléen fut condamné sur l’heure car, d’après la Loi, le blasphème était puni de mort (Levit 24, 10-16). Séance tenante, Caïphe déchira ses vêtements jusqu’à la ceinture. C’était une manière de protester prescrite quand on entendait blasphémer. Et dans tout le Sanhédrin, il n’y eut qu’une voix : reus est mortis.

Ces débats se prolongèrent fort longtemps. Saint Matthieu et saint Marc, du moins, nous permettent de le supposer. Ouverte à deux heures après minuit, cette séance ne dut guère s’achever avant 4 h (Mc 15, 1). Depuis ce moment et jusqu’à l’aube, le Seigneur fut livré aux mains d’une vile soldatesque, qui l’accabla d’injures et de coups.

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