Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

Article de M. l’abbé de Tanoüarn

Le signe de Croix est un geste, dont la signification est universellement reçue chez les catholiques et chez les orthodoxes (mais pas chez les protestants), signe qui partage le temps sacré et le temps profane. De quoi parlons-nous ? Le temps profane est le temps que mesure l’horloge, il est foncièrement disponible à toute réalisation, au bien comme au mal, il est libre potentiellement pour toute occupation. Le temps sacré n’est pas un temps libre. C’est un temps où se mêle l’éternité. Dieu fait irruption dans la disponibilité du temps profane et transforme ce moment, en lui donnant une signification éternelle. C’est tout le sens – sacré – de ce que nous appelons volontiers la sainte messe.


Pourquoi la messe est-elle sainte ? Non pas parce que celui qui la célèbre ou ceux qui y assistent seraient des saints, mais parce que la messe est une initiative divine, un acte théandrique divino-humain. L’initiative en revient au Seigneur qui a institué ce geste fou – disant sur du pain Ceci est mon corps et sur du vin Ceci est mon sang –  en nous demandant de refaire ce geste et de redire ces paroles de la même façon : « Cela, chaque fois que vous le ferez, vous le ferez dans la mémoire de moi » : nous le faisons en nous souvenant de ce qu’il avait fait lors de la première messe, la veille de sa Passion. Ce n’est pas un acte qui nous appartient, que nous pourrions accomplir en y laissant notre marque, en employant chacun notre façon de faire, en improvisant chaque jour une nouvelle manière d’être dans cette cérémonie.


Je parle ici du célébrant auquel revient la responsabilité de l’action sacrée – chaque fois qu’il célèbre les saints mystères du Christ, il est seulement « instruments et continuateurs de Jésus-Christ » comme dit saint Vincent de Paul. La messe ne lui appartient pas. Il est l’intermédiaire visible, audible, sensible, mais l’action qu’il pose est une action divine. Cela exige de lui un véritable détachement : certes le Christ a besoin du prêtre, mais ce n’est pas pour restreindre la portée de son offrande, mais pour la réaliser toujours à nouveau, identique à elle-même, dans le temps et dans l’espace.


La messe n’est pas une réunion de prière qui exigerait la créativité des assemblée qui la célèbrent. C’est le cadeau, le testament du Christ avant de mourir, c’est l’explication qu’il donne de sa propre Passion, c’est un secret entre lui et ceux qui l’aiment ou qui essaient de l’aimer, secret qui exige une véritable initiation.


Mais direz-vous, pourquoi un secret ? Parce que l’amour, dans la mesure où il est authentique, ne peut pas se passer de secret ou d’intimité. La messe est la déclaration d’amour que le Christ, qui sait qu’il va mourir, adresse à l’humanité, c’est-à-dire à chacun d’entre nous de manière différente. Sacrement de l’initiation chrétienne, geste sacré inventé par le Christ lui-même (qui d’autre aurait eu pareil idée ?), la sainte messe renferme le secret de son amour et c’est pour cela qu’aujourd’hui encore elle est avant tout non pas une représentation du passé, comme si l’amour de Dieu se découvrait en feuilletant un herbier ou un livre d’image. Non ! la messe est le présent et la présence de l’amour du Christ. Elle est un acte sacré, un acte sanctifiant, qui n’appartient pas à l’homme, mais où Dieu vient à nous aujourd’hui, avec des gestes, avec des signes, avec des mots humains qui ont une origine et une portée divine. La messe nous introduit dans le milieu divin, elle est la juxtaposition miraculeuse du temps humain avec l’éternité.


La messe et la messe seule quand on y réfléchit réalise la première demande du Notre Père : « Que votre nom soit sanctifié ». On pourrait traduire cette première demande sur la sanctification du nom de Dieu : « Mon Dieu, donnez-nous du sacré ». Donnez nous des signes de votre présence et de votre amour. La messe est le signe par excellence, le signe institué par le Christ de cette sacralité et de cette religion, dont l’initiative est divine. De manière très évocatrice, l’école française de spîritualité parle du Christ comme religieux de Dieu, initiateur et inventeur, dans la sainte messe, de la seule vraie religion, la religion suscitée par Dieu, qui consiste dans des paroles de Dieu et qui dans le sacrifice du Christ nous laisse un exemple héroïque, que nous pouvons reproduire : « Je vous ai laissé cet exemple, j’ai donné ma vie pour vous, afin que vous fassiez de même ».


Lorsque Marcel Gauchet parle du christianisme comme de la religion de la sortie de la religion, de la religion désacralisée, il parle peut-être du christianisme, mais alors du christianisme sans le signe de la croix et sans la messe – d’un christianisme protestantisé, ou plus exactement passé au karcher du christianisme libéral, toutes choses qui n’étaient pas prévues dans l’Evangile.

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