Interview de M. l’abbé Christophe Héry
M. l’abbé Christophe Héry, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur, a été ordonné par Mgr. Lefèbvre en juin 1988 ; il a exercé son ministère à Marseille et à Paris, puis dans la paroisse Saint-Eloi à Bordeaux.
Il est aujourd’hui l’une des figures les plus significatives de l’Institut du Bon Pasteur, dont il est l’un des fondateurs, protagoniste des accords avec le Saint-Siège et de la convention entre l’IBP et le cardinal Ricard à Bordeaux ; estimé pour l’impartialité de ses études théologiques, il a publié récemment l’ouvrage “Non-lieu sur un schisme”, dans lequel il réfute, avec la perspicacité qui lui est propre, toutes les accusations de schisme à propos des sacres de 1988.
Au sein de son Institut, il anime divers groupes de réflexion et d’études théologiques.
Monsieur l’Abbé Christophe Héry, vous avez été en 2006 l’un des protagonistes principaux de l’érection de l’institut du Bon Pasteur, lequel nous intéresse particulièrement pour sa position théologique, tout à fait singulière. Voudriez-vous nous en parler d’une façon accessible et précise à la fois ?
Dès sa création à Rome le 8 septembre 2006 comme Institut de droit pontifical, le Bon Pasteur est placé sous les projecteurs en raison de son rite liturgique exclusivement traditionnel. Mais c’est surtout sa position théologique qui interpelle, par rapport au Concile Vatican II. Certains réclament que soit donné au concile « un assentiment sans équivoque ». Or il n’y a pas d’équivoque dans notre position. Il s’agit d’une mission de veille théologique. Elle s’inscrit dans la clarté de la pensée du pape. Face au faux « esprit du Concile » qu’il a nommément rejeté le 22 décembre 2005 devant la Curie comme cause de « ruptures », « dans de vastes parties de l’Église », Benoît XVI affirme que le temps est venu de soumettre le texte de Vatican II à une relecture pour en donner une interprétation authentique, encore à venir.
Dans cette perspective, nous sommes invités par nos engagements fondateurs (signés le jour de notre fondation), à participer de façon constructive à un travail critique. Le débat fondamental, étouffé depuis quarante ans, s’ouvre enfin au sein de l’Église sans esprit de système ni de revanche, sur les points de discontinuité doctrinale posés par le concile Vatican II, sujets à caution.
Comment une telle « critique constructive » du Concile est-elle possible, puisque Vatican II est un acte du magistère authentique, en pratique intouchable ?
Le concile est certes un acte du magistère authentique. Mais il n’est pas intouchable, puisque la « réception authentique » du Concile, selon le Saint Père, n’a pas encore eu lieu, ou n’est pas satisfaisante ; c’est donc qu’il est retouchable, via le processus d’interprétation. Il y a un espace de liberté laissé à la controverse théologique sur le texte du magistère conciliaire, restant sauve la Tradition dogmatique et apostolique…
N’est-ce pas mettre la Tradition au-dessus du magistère ?
La Tradition n’est ni au-dessus, ni au-dessous du Magistère. Dans ce même discours du 25/12/2005, notre pape a fustigé « l’herméneutique de discontinuité », qui oppose le magistère conciliaire à la Tradition. En effet, le magistère authentique ne dispose jamais de la Tradition à sa guise et n’est pas au-dessus d’elle : lorsqu’il statue de manière infaillible, il est ce que j’appelle la Tradition « en acte ». Lorsqu’il ne statue pas de manière infaillible, comme la majeure partie de Vatican II, le magistère (même authentique) doit être interprété et reçu, sans rupture avec la Tradition, donc à la lumière de celle-ci.
Pouvez-vous préciser en quoi la réception d’un concile permet d’en faire la critique constructive ?
Le problème posé par Vatican II est qu’il ne ressemble en rien aux précédents conciles. Ceux-ci présentaient des enseignements, des définitions du dogme, des condamnations d’erreurs opposées, qui obligeaient la foi. A l’inverse, renonçant par principe pastoral à toute prétention dogmatique (hormis la reprise de quelques points antérieurement définis par le magistère solennel), Vatican II ne s’impose pas à l’Eglise comme objet d’obéissance absolue pour la foi (cf Canon 749), mais comme objet de « réception ».
Or la réception induit un processus d’interprétation. Pour un tel corpus de textes, celle-ci demande du travail, et surtout du temps. Le cardinal Jean-Pierre Ricard à Lourdes, le 4 novembre 2006, a précisé : « le Concile est encore à recevoir » (c’est-à-dire à réinterpréter). Et il a indiqué la direction à suivre : s’appliquer à « une relecture paisible de notre réception du Concile » et non pas « une lecture idéologique », notamment pour « en repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte. » Ce qui signifie une vaste opération de mise en questions (au sens scolastique) ; d’éclaircissement (au sens de tri) entre ce qui vaut d’être gardé et ce qui ne le vaut pas ; et de plus, une interprétation correcte de ce qui peut ou doit être gardé.
Quel sera pour vous le critère de ce tri et de cette interprétation ?
Le crible à employer est évidemment, non pas la philosophie du jour, mais la cohérence, la compatibilité ou la continuité du magistère avec la Tradition. La Tradition en acte (foi et sacrements) inclut l’enseignement solennel des conciles antérieurs et des papes. Elle constitue, aujourd’hui comme hier, le lien essentiel et actif de la communion entre catholiques. Restant sauve l’autorité romaine – et la possibilité pour la théologie de progresser de façon critique en cherchant des réponses aux problèmes nouveaux, qui ne se posaient pas, par exemple, à Vatican I.
Voulez-vous dire que Vatican II fournit une chance de réflexion critique et d’approfondissement pour l’Eglise ?
Il est indéniable que Vatican II pose à l’Église les questions essentielles de la modernité : la conscience, la liberté religieuse, la vérité, la raison et la foi, l’unité naturelle ou surnaturelle du genre humain, la violence et le dialogue avec les cultures, la grâce et l’attente des humains, etc. On ne peut aujourd’hui se contenter des réponses d’hier qui doivent prendre en compte les nouvelles problématiques. Mais le Concile date de 1965 et il n’est plus aujourd’hui un discours clôt sur lui-même. Nous le reconnaissons pour ce qu’il est : un concile œcuménique relevant du magistère authentique, mais non infaillible en tout point et, en raison même de ses nouveautés, en butte à certaines difficultés dans sa continuité avec l’Évangile et la Tradition.
Est-ce le sens de la formule d’engagement que vous avez signée au jour de la fondation de votre institut : « À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliable avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique en évitant toute polémique. Cette attitude d’études veut participer, par une critique sérieuse et constructive, à la préparation d’une interprétation authentique de la part du Saint Siège de ces points de l’enseignement de Vatican II » ?
En effet, nous avons obtenu cette liberté de contribuer, à notre place, d’abord par des études et des publications internes à l’Institut, à ce travail titanesque de pointage des textes et des théories qui font difficulté depuis 40 ans, concernant non seulement le concile mais aussi les réformes liturgiques (ou autres) qui l’ont suivi. Nous préparons des études sur la liturgie, et sur des points litigieux classiques du Concile. La mise en place de sessions de travail et d’échange avec d’autres interlocuteurs reste à venir.
La Fraternité Saint Pie X pourrait-elle aussi avoir un rôle semblable au vôtre dans ce travail de proposition vis-à-vis du Pape, qui reste toujours l’unique sujet du suprême pouvoir magistériel ?
Bien sûr ! Depuis la levée de l’excommunication des 4 évêques de la FSSPX, on imagine que les discussions doctrinales, jusqu’ici secrètes et informelles, vont pouvoir s’organiser avec l’aval du saint Père, et permettre aux interlocuteurs de faire valoir et d’échanger les arguments théologiques qui nourrissent la critique traditionaliste.
Même dans une perspective de « continuité », les approches herméneutiques font l’objet de positions variées. Quelle méthode de travail adopter ?
En effet, l’herméneutique fait elle-même l’objet d’un débat préalable. Un tel travail supposerait d’abord de définir la méthode et les principes herméneutiques.
S’agit-il de sauver le texte à la lettre coûte que coûte, comme un bloc infaillible, sacré et inspiré jusqu’au iota, à l’image de la Bible ? Un tel postulat pourrait mener à une forme de fondamentalisme conciliaire, ruineux pour l’Eglise.
S’agit-il plutôt de retrouver l’esprit du texte, par-delà la lettre ? Mais le Saint Père lui-même a écarté la revendication incantatoire de cet « esprit du Concile », indéfinissable et cause de tant de « ruptures » (pratiques, doctrinales ou liturgiques) au sein de l’Eglise.
S’agit-il alors de retrouver l’intention des pères conciliaires, rédacteurs du texte ? Là se pose une sérieuse difficulté pratique : le texte de Vatican II est un patchwork, le résultat d’un compromis au sein d’une assemblée, entre plusieurs groupes de travail souvent opposés, ayant chacun tiré à soi le sens, d’une phrase à l’autre…
Resterait à retrouver l’intention de Paul VI ? Ou bien celle de l’Eglise ? Mais l’intention de l’Eglise ne peut être que traditionnelle. Et de plus, l’Eglise ne s’est pas encore exprimée de façon « authentique » sur le sens à donner aux textes majeurs du concile posant de graves difficulté pour la transmission de la foi. C’est pourquoi le pape Benoît XVI, dans son discours du 22/12/2005, affirme revenir non seulement au texte du Concile, mais aussi sur le texte. Ce sera notre base de travail critique.