Par M. l’abbé Philippe Laguérie

Oui ! Qu’est-ce qu’un prêtre du Bon-Pasteur ?

Avouez que pour donner toute sa vie, recevoir six années de formation intensive, puis se lancer dans la grande aventure de l’Evangélisation dans une Eglise en pleine mutation, à peine réveillée des illusions philanthropiques et humanitaires…Il y a de quoi s’arrêter, «  sedens computus » et considérer le terme, comme en toute chose, le produit fini, si je puis dire.

Sans doute le caractère immédiatement surnaturel de la vocation sacerdotale comporte, de soi, une disponibilité, un don total et une conséquente docilité. En ce sens, elle pourrait et devrait s’ouvrir à toute perspective qui respecte les fondements de la Foi et de la morale catholiques. Qui ne connaît les méandres de la volonté divine qui écrit toujours droit, mais sans cesse avec des lignes courbes… est un débutant bien ingénu ! On peut même souhaiter que nos candidats conservent toute leur vie cette remarquable disposition d’ouverture au mystère de Dieu qui caractérise moralement le don total de soi. Retenons cette ingénuité de base qui correspond à l’aptitude universelle exigée par Saint-Paul de Timothée (2 Tim 3-17) : « Afin que l’homme de Dieu soit parfait, apte à toute bonne œuvre ».

Est-ce dire pour autant que le choix d’une formation ou d’une autre, d’un institut ou d’un autre, serait une entorse initiale à l’impérieux abandon à la Providence ? Nous ne le pensons absolument pas et même nous le jugerions comme une singulière imprudence. L’idonéité de l’instrument est la condition de son efficacité et sa formation le gage de son rayonnement. Il s’agit pour nous de former des esprits, des intelligences, des cœurs de prêtres tels qu’ils soient les plus aptes possible à la mission de l’Eglise aujourd’hui, telle qu’elle est, et non pas telle que nous la rêverions dans l’abstrait. Sachant, bien évidemment, que toute rupture dans la chaîne de la Tradition Catholique est absolument létale à la vie de l’Eglise.

Nous savons, par ailleurs, les conditions générales de la formation et de l’apostolat des prêtres du Bon-Pasteur tels que l’Eglise nous les a fixés par les statuts et le décret d’érection de notre société : qu’on veuille bien s’y reporter. Notons simplement que ces données reçues de l’Eglise, loin d’arrêter et de fixer l’Institut et ses prêtres sur une période particulière de l’Eglise, sont au contraire une transition, un débouché et une ouverture sur l’avenir. Beaucoup ont imaginé faussement vouloir stopper la vie de l’Eglise avec le Concile Vatican II, soit, par réaction, avant ce concile ; l’Institut du Bon-Pasteur veut former des prêtres qui enjambent ces clivages, les transcendent et, par l’herméneutique d’une continuité la plus générale, ouvrir les chantiers de demain sur les fondements de toujours.

Le prêtre du Bon-Pasteur, instrument du Christ-Jésus et de son Eglise aura donc les qualités nécessaires de ses ambitions. Nous les prendrons dans les formulations pauliniennes : l’éternité de ces formules les rend plus modernes qu’aucune autre.

1) Fierté de l’Evangile

« Je n’ai point honte de l’Evangile ; c’est une force divine pour le salut de tout homme qui croit, premièrement du juif, puis du grec ». (Rom. 1-16).

Pourvu qu’il place sa fierté là où elle le mérite de l’être, c’est la  qualité primordiale du prêtre. L’Evangile est la fierté adéquate du « bon soldat du Christ-Jésus ». Elle le met à couvert de toutes les extravagances, élucubrations, compromissions ou insignifiances.

Une simple constatation nous fera comprendre : la plupart des textes du Nouveau-Testament ne sont plus même intelligibles par le monde moderne ni prononçables par les pasteurs eux-mêmes. Trop forts, trop salés, trop dangereux pour des utilisateurs affadis. Qui peut bien encore citer les deux premiers chapitres de l’épître aux Romains, le 23èm de Saint Matthieu, l’intégralité de l’épitre aux Galates et mille autres?

La religion du Verbe ne trouve plus de voix que la vérité n’effraie tandis qu’elle devrait en faire ses délices. Alors que cette hardiesse primordiale du prêtre détourne de tous les excès, qu’ils soient ceux de l’esprit bourgeois et craintif ou du psittacisme campé et sectaire. Cette fierté première garantie le prêtre et du découragement personnel, et de la peur du monde et de l’élucubration personnelle. Elle est notre liberté de pensée, d’agir, de plaire. Comme de créer du neuf sans aucune peur de l’ancien, mais grâce à lui. Comme aussi de redécouvrir l’ancien à travers le nouveau.

2) Piété sans frontière

Il convient ici de bien distinguer la piété, celle évoquée par l’Apôtre dans l’évocation du  « Mystère de la piété » (1 Tim 3 16) et qui a pour objet exclusif et adéquate la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, au point que Saint-Paul identifie la vertu et son objet (Le mystère de la piété devenant, du même coup, la piété du mystère !), de la vertu générale qui rend une justice imparfaite envers l’ensemble des personnes dont nous sommes redevables et insolvables.

La première est évidemment la pierre d’angle de toute vie sacerdotale. C’est la contemplation permanente, vivante et efficace du mystère insondable « ce dessin caché en Dieu depuis tous les siècles et maintenant manifesté par l’Eglise » (Eph.) Cette science suréminente du Christ, cette richesse insondable que tout apôtre se doit de mettre en lumière sous peine de malédiction (« malheur à moi si je n’évangélise pas ») est la spécialité de tout prêtre et ceux du Bon-Pasteur devraient s’en faire les hérauts incontestables. Il y a mille manières d’apostolat, respectables sans doute les unes et les autres ; mais toute parole, action, attitude du prêtre trouve sa finalité et sa consistance à faire connaître cette charité du Christ avec laquelle Il s’identifie noétiquement. Il faut ressourcer dans le Christ toute charité, rétablir le Christ comme source unique et finalité ultime de toute charité. Le prêtre du Bon-Pasteur veillera donc à n’avoir qu’une seule spécialité et raison d’être : le mystère du Christ-Jésus. Ce n’est pas trop d’une vie puisque l’éternité n’y suffira pas…

Mais cette piété unique, infinie par son objet, appelle et exige toutes les autres. A commencer par celle envers l’Eglise, épouse immaculée et seule garante de ce mystère du Christ dans sa vérité et son authenticité. Toute fidélité au Christ est vouée à l’échec en dehors de l’Eglise par la raison que le secret de l’un a été remis entièrement aux mains de l’autre. « Il n’a pas Dieu pour Père celui qui n’a pas l’Eglise pour Mère » (Saint-Cyprien). Par-delà la trahison ou les équivoques des uns et des autres, le prêtre du Bon-Pasteur gardera intacte, héroïquement s’il le faut, sa piété envers l’Eglise. Il a tout à y gagner personnellement. La meilleure théologie se fausse en dehors de l’Eglise et toutes les vertus elles-mêmes se retranchent de leur cadre naturel. Quand les notes de l’Eglise se font obscures, il faut travailler à restituer leurs couleurs plutôt que de hurler dans le brouillard avec les loups.  En cela le prêtre du Bon-Pasteur ne fera qu’obéir aux monitions du jour de son ordination : « Que le parfum de votre vie fasse les délices de l’Eglise de Jésus-Christ ». Et si l’un ou l’autre y voyait quelque danger mortel pour sa fidélité, c’est qu’il n’aurait pas bien compris la fierté et la liberté précédentes.

Cette piété s’étend ensuite à tous les artisans du vrai et du bien, vivants et morts, amis-ennemis, faciles ou difficiles, selon cette parole de l’Apôtre (Phil 4-8) : « Tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui est de bonne renommée, s’il est quelque vertu et s’il est quelque louange : que ce soit l’objet de vos pensées ». « Qui n’est pas contre vous est avec vous » disait le Seigneur aux apôtres surpris qu’un autre qu’eux utilisât le Nom de Jésus et l’Apôtre d’ajouter (Phil 1-18) : « De quelque manière qu’on le fasse, que ce soit avec des arrière-pensées ou sincèrement, le Christ est annoncé : je m’en réjouis et je m’en réjouirai encore !». On le voit aisément : la vraie piété est le terreau d’une belle magnanimité.

3) Créativité ingénieuse

Dès lors qu’un homme est débarrassé de toute peur par une juste fierté et droitement ordonné par une véritable piété, il n’est d’œuvre salutaire qui ne soit en dehors de ses possibilités. C’est la suite logique de sa piété ainsi que l’affirme l’Apôtre explicitement (Tim. 4-8) :« La piété est utile à tout : elle a les promesses de la vie ; de la vie présente et de la vie éternelle ».

Vous aurez remarqué, évidemment, cette efficacité de la vraie piété pour la vie présente. On ne le sait que trop, hélas : la paralysie des clercs est la peur. On aurait pu croire que le vent de liberté qui a soufflé sur l’Eglise avec l’esprit du concile l’en avait débarrassé. Force est de constater qu’au contraire les rouages de l’Eglise sont encore presque entièrement paralysés par ce sentiment qui inhibe toute hardiesse apostolique. Que ne feraient les évêques s’ils ne craignaient pas leur entourage et le qu’en dira-t-on ? Qu’il n’en soit pas ainsi parmi nous ! Il y a dans la grâce du sacerdoce (et de l’épiscopat plus sûrement encore !) un esprit de force que l’Apôtre recommande explicitement à Tim (1-7) :«  Ce n’est pas un esprit de pusillanimité que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de maîtrise de soi ».

Dès-lors on ne s’étonnera pas que par six fois Saint-Paul recommande à Tite de pratiquer les bonnes œuvres, d’y être même le premier et d’y exceller. « Que ceux qui croient en Dieu s’appliquent à être les premiers dans les bonnes œuvres : voilà ce qui est bon et utile aux hommes » (Tite 3-8) mais aussi (2-7) : « Te montant toi-même un modèle de bonnes œuvres » (également 3-1 et 2Tim 1-21 etc.). Saint-Paul préfère cela aux discours et disputes sans fin…

Un bon prêtre doit donc exceller dans les bonnes œuvres, être créatif, ingénieux, généreux. Quand il est bien axé dans la doctrine « qui est selon la piété » et suffisamment fier des dons de Dieu pour être libéré de toute crainte. Ses supérieurs devraient plutôt l’encourager dans cette hardiesse apostolique que l’en dissuader et ce sont plutôt les oisifs qui devraient craindre leurs reproches que les zélés ! Il y a chez le bon prêtre une liberté apostolique que nous entendons soutenir, encourager, promouvoir, récompenser.

4) Par-dessus tout

Mais alors, direz-vous, l’unité de l’ensemble pourrait s’avérer bien délicat et le souci de tendre « ad unum » fort compromis. On nous a fait déjà ce reproche et il s’est avéré faux parce que mal fondé. Un texte de Saint-Paul fera comprendre l’inanité de cette nouvelle crainte et comment la riche personnalité de ses membres ne saurait compromettre l’unité de l’Institut. D’aucuns, sur ce motif, avaient même prophétisé l’impossibilité de nous réunir ! A ceux qui contestent cette diversité en elle-même et souhaiteraient les hommes tous semblables et des prêtres usinés à la chaine, je renvoie au chapitre 12 de la première au Corinthiens où sur 30 versets Saint-Paul démontre le contraire.

Aux Colossiens, (3 5-14) l’Apôtre énumère les vices qu’ils doivent fuir en trois registres distincts ; ceux des païens qui les empêcheraient simplement d’être chrétiens : luxure, fornication, convoitise cupidité et idolâtrie. Puis, ceux que des chrétiens dignes de ce nom doivent encore fuir : colère, animosité, méchanceté, injures et paroles déshonnêtes. Enfin leur perfection exige plus : qu’ils se revêtent d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. On imagine qu’à ce stade il n’y a plus de difficultés entre eux et qu’on a plutôt affaire à des saints ! Mais l’Apôtre d’ajouter : « Mais par-dessus tout, revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection ». Comme il y va ! Est-ce que la sainteté n’était pas déjà atteinte au stade précédent ? Fallait-il bien leur demander plus ?

La solution est évidemment que la charité n’est pas prise ici comme la cerise sur le beau gâteau des vertus, mais comme la consistance et la réalité-même de cet édifice spirituel. On songe aux premières lignes du chapitre 13 de la première aux Corinthiens : sans la charité, je ne suis rien ! On songe aussi à Saint-Thomas qui fait de la charité la forme (l’être, donc) de toute vertu. La charité est donc à tous les stades de notre construction spirituelle : au principe, comme le moteur qui fournit l’énergie. Au-dedans, si l’on peut dire, comme la consistance-même des dispositions requises. Au terme enfin, comme la construction elle-même, réalisée et solide, au point qu’à ce niveau elle assure le lien de l’ensemble : le lien de cette perfection.

Ne mettre la charité qu’au terme : voilà l’erreur que nous ne commettrons pas. Elle est partout et c’est elle qui assure l’unité des prêtres du Bon-Pasteur. Sous un si grand modèle, d’ailleurs, on ne voit pas bien comment il pourrait en être autrement. Un prêtre du Bon-Pasteur qui manque sérieusement à la charité envers un confrère, tourne le dos aux statuts, défigure le modèle sous la bannière duquel il s’est engagé, se détourne sciemment du bien-commun et de son honneur de prêtre. Il serait en deçà de ce qu’exige l’Apôtre de tout chrétien envers un frère…comme fort loin du commandement nouveau, (édicté pour les apôtres, doit-on le rappeler ?) : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ».

Le meilleur analogue de la charité étant l’amitié, ou, si l’on veut, cette bienveillance gratuite qui regarde l’autre comme il est, là où il en est, chaque prêtre doit se réjouir des qualités des autres et de leurs succès comme il doit se dépêcher de faire fructifier les siennes. Au contraire de la jalousie, ce fléau ecclésiastique, chacun doit mettre au service des autres le don qu’il a reçu de Dieu et se considérer comme le serviteur du bien commun et de ses frères d’armes. Par-delà le respect, la correction, la politesse, le savoir-vivre que nécessite toute vie en commun, il y a l’amitié : cette bienveillance du coup d’œil porté sur l’autre, cette complaisance même sur ses défauts, cette joie de se sentir frères d’une même Foi, d’un même combat, d’une semblable Espérance.

Servir est à ce prix-là et si cela nécessite un nouveau type de formation et de comportement dans l’Eglise du Dieu Vivant, grâces soit rendu à Dieu qui a voulu et créé le Bon-Pasteur !