Par M. l’abbé Guillaume de Tanoüarn

"Benoît XVI recrute !"

C’est en ces termes que le quotidien Libération, dans un article par ailleurs plutôt neutre, publié sur son blog, relatait la messe aux Invalides. « 260 000 personnes à l’opération de recrutement de Benoît XVI« . Et de citer le Saint Père, d’abord dans un style très wojtylien : « N’ayez pas peur de donner votre vie au Christ. » Puis dans un style quasi-lefebvrien, au terme d’une longue évocation du Saint Sacrifice de la Messe : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde« .

Alors que le nombre des entrées au Séminaire de Paris diminue dangereusement, un tel appel en un tel lieu et à un tel instant (le plus solennel de sa visite) n’est pas fortuit. Le pape espère bien toucher quelques jeunes hommes en leur demandant d’être avant tout « les hommes de la messe », les hommes qui, selon le terme théologique, « confectionnent » et sont seuls capables de confectionner le sacrifice de la messe.

Et il donne la raison pour laquelle ces jeunes hommes doivent répondre à l’appel. Il ne s’agit pas d’une réponse intérieure. Il ne s’agit pas de faire le bilan d’une expérience intérieure, il ne s’agit pas de savoir si le Bon Dieu ou votre ange gardien vous a un jour tapé sur l’épaule droite pour vous inviter à le suivre. il s’agit d’un argument objectif, purement externe, que je serais tenté d’appeler « ontologique », tellement il est pesant, oui tellement il s’impose à notre considération : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde« .

Pourquoi le jeune homme doit-il répondre présent à l’appel du pape ? Pourquoi l’appel du pape est-il l’appel de Dieu même ? Parce que Dieu même a voulu se contraindre à utiliser ce moyen humain qu’est le sacerdoce, reçu par une poignée d’hommes toujours indignes, pour sauver le monde.

Que faut-il pour devenir prêtre ? Un contact direct avec Dieu ? Bien sûr que non : ce serait condamner les prêtres à l’imposture à un moment ou à un autre… Qui peut se targuer, sans mentir, d’être en contact permanent avec Dieu ?

Vous me direz : « Personne ne donne ce qu’il n’a pas. Le prêtre qui donne Dieu doit donc avoir Dieu« . Et vous conclurez peut-être : « Moi je n’ai pas Dieu en moi. Je ne suis donc pas concerné par cet appel.»

Mais cet argument est faux. Le prêtre ne donne pas ce qu’il a, comme le remarquait déjà Bernanos de manière poignante dans le Journal d’un curé de campagne. Le prêtre donne ce qu’il est. Il donne le pouvoir surnaturel qui, au jour de son ordination, l’a fait être autrement. Ce pouvoir nouveau qui est le sien, il n’en connaît d’ailleurs pas lui-même toute l’extension. « Si le prêtre se savait, il en mourrait d’amour » disait le Curé d’Ars. Non seulement le prêtre ne donne pas ce qu’il a, mais il ne sait pas ce qu’il donne. Il donne toujours plus (au moins s’il est respectueux de son sacerdoce) que ce qu’il croit donner. Il donne Dieu. Il donne le pouvoir que Dieu s’est ménagé dans le monde créé pour le salut de ce monde, ce pouvoir (exousia, potestas) dont jouit sur le coeur de Dieu chacun de ses enfants, pouvoir de devenir éternel. Il communique aux chrétiens qui sont « un peuple de prêtres » ce pouvoir qui est devenu le sien par son ordination ministérielle. Il est préposé à donner ce pouvoir qui le dépasse, qui le transforme à son propre insu en un donneur de Dieu, donnant non ce qu’il possède mais ce qu’il est.

Qu’est-ce qui est nécessaire pour faire un prêtre ? Au-delà des voies inscrutables de la Providence, matérialisées dans l’appel de l’évêque qui conclut la période de formation, ce qui est nécessaire à un prêtre, c’est l’esprit de service. Le prêtre est « ministre », essentiellement ministre, ministre des dons de Dieu. Qu’est-ce qui fait un bon ministre, sinon son aptitude (constatable, concrète, vérifiable) à servir celui dont il est le ministre. S’il y a une prédisposition au sacerdoce, c’est cette ressemblance particulière avec le Christ, qui a dit, lui-même, le soir de sa Passion : « Voici que je suis au milieu de vous comme celui qui sert« . Le reste, tout le reste, est providentiel, c’est-à-dire insondable.

L’appel si profondément surnaturel, si réaliste, si objectif qu’a lancé Benoît XVI aux jeunes de France le 14 septembre 2008 m’a paru conforme aux théories théologiques les plus extrinsécistes sur la vocation, celle par exemple que développa au début du siècle dernier le Chanoine Lahitton, avec la bénédiction (à l’époque) du pape saint Pie X. Puissance traditionnelle de Benoît XVI, même en un domaine où on ne l’attendait pas.

On me dira que je ne parle pas ici des vocations religieuses en général et des vocations féminines en particulier. Je crois que ces vocations-là, vocations à la perfection par et dans les vœux, vocations à l’offrande totale, holocaustes spirituels, sont d’un autre ordre que les vocations sacerdotales. Elles manifestent non seulement l’esprit de service mais un amour fou, qui donne tout sans rien exiger en retour. Qui dira un cœur de jeune fille qui, silencieusement et dans l’incompréhension générale, s’offre à son Seigneur ? Ces choses me semblent trop hautes pour que quelques lignes suffisent à les élucider… La vocation sacerdotale est vocation à un service d’Eglise et l’Eglise, depuis le commencement, a réfléchi sur les conditions de l’appel et sur la réponse à lui donner. La vocation religieuse relève d’un ordre plus secret, amoureux, tellement personnel… A celle-là s’applique le mot célèbre du chapitre 12 du Livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret d’un roi« .