Sursum corda

Cette expression est passée dans le langage courant : « Haut les coeurs ! » Nous entrons dans la partie la plus sacrée de la messe, qui est la consécration. Il faut avoir du coeur pour comprendre ce que Dieu veut des hommes lorsqu’il se donne ainsi à eux. Pour obtenir une parfaite concentration pendant l’action sacrée, pour parvenir aussi à un silence qui parle aux coeurs, l’Eglise a prévu une préface parénétique, une exhortation littéraire sous forme de Préface,, selon un genre littéraire qui existe au moins depuis Platon dans l’Apologie de Socrate et qui pourrait se formuler ainsi ; « Quand on pense à tout ce qu’il a fait pour nous !’ Cet éloge du Christ et cette exhortation à participer à son mystère revêt une forme très littéraire. Parmi les très nombreux bonheurs d’expression de la liturgie romaine, ceux que l’on découvre dans les Préfaces sont particulièrement bien placées. Elles en deviennent difficile à traduire, tant leur signification est riche.

La liturgie romaine a toujours comporté un petit nombre de préfaces différentes. C’est la liturgie gallicane qui les a multipliées, accueillant des compositions originales, selon les fêtes différentes : préface de saint Jean-Baptiste, préface des saints, de la dédicace d’une Eglise, du Saint Sacrement, de l’Avent etc. Ajoutons qu’à la Veillée pascale, le très vieux chant de l’Exsultet, qui fait l’éloge du cierge pascal est construit comme une préface, et nous aurons une idée de l’antiquité du modèle des préfaces.

Sursum corda ! Un discours qui parle au coeur (oratio), voilà le principe de la préface. Le mot coeur est extrêmement précieux. On le trouve dans les psaumes (Ps. 50 : « Crée en moi un coeur pur… ») et chez certains prophètes (Ezéchiel 16, 26 : « Je vous donnerai un coeur nouveau et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous »).

Il ne s’agit pas de s’intéresser au coeur des midinettes, à leurs spasmes ou à leurs frissons, toutes choses qui appartienent de droit au roman. Ce qui est en question, c’est l’intelligence. Au delà de la raison et de toutes les raisons que la raaison peut apporter, l’intelligence du coeur est capable de nous dénicher toutes, « ces raisons que la raison ne connaît pas »(Pascal), celles de l’esprit de finesse qui n’est pas l’esprit de géométrie, bref justement celles du Christ.

Comme le dit Saint-Cyran, le coeur est « l’organe de la foi ». « On ne croira jamais d’une créance utile et digne de foi si Dieu n’incline le coeur » dit Pascal. Je pense à ce merveilleux petit texte que Laurence Plazenet vient de rééditer pour la première fois depuis le XVIIème siècle dans son recueil sur Port-Royal (Flammarion p. 995 sq.). Le coeur nouveau (tel est son titre), courte synthèse composée par l’abbé de Saint Cyran, a eu bien des lecteurs prestigieux, à commencer par Pascal bien sûr. Le coeur nouveau commence ainsi : « La vie de la grâce est fondée dans l’âme comme la vie de la nature est fondée dans le corps et elle commence comme celle-là par l’établissement du coeur, qui est une chose intérieure et le principe de toutes les fonctions de la vie ». Qui a dit que tous les jansénistes étaient des êtres froids et rigoristes ?

Cette doctrine du coeur est un bien commun de la tradition chrétienne, puisée dans les psaumes : Ascensiones in corde disposuit dit le psaume 83 : il a disposé dans nos coeur le secret des élévations ». Au IXème siècle déjà, le diacre Florus de Lyon, dans cette Expositio missae que je dois à un ami liturgiste, dans l’édition de Paul Duc (1938) ne pensait pas autrement : « Qu’est-ce donc que ce « haut les coeurs » ? demande Floruis dans son Exposition de la messe. Il s’agit de chercher ce qui est en haut et de goûter ce qui est en haut. Chercher en aimant [l’équivalence entre chercher et aimer existe encore en espagnol] et goûter en comprenant » [ce goût nous enseigne les raisons que la raison ne connaît pas].

Et Florus d’excuser ce qu’il semble prendre pour un pléonasme ou une phrase nominale trop abrupte, expliquant : « Les prêtres d’autrefois ne s’occupaient pas tant de l’apparat du discours que du salut et de l’édificationdu peuple. A cause des simples (idiotas) et des rustres (rusticanos), ils avaient l’habitude de dire non pas Sursum mais Sursum corda pour que l’advenue d’un événement si important (tanta res) soit clairement comprise par tous.  » Il ne s’agit pas de « veiller des yeux et de dormir du coeur » poursuit Florus. Ainsi le peuple répond : « Nous tenons nos coeurs vers le Seigneur »

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