Graduel, traict, alleluia; séquence

La lecture de l’Évangile est précédée d’un, et même la plupart du temps, de plusieurs chants, tirés des psaumes et le plus souvent accompagnés d’alleluia. Dans la liturgie tout est fait pour solenniser cette lecture de l’Évangile, parole de Dieu, parole de science,  parole de salut, parole efficace, loi nouvelle pour l’homme dans ses ultimes transformations culturelles et spirituelles, dont l’Évangile constitue en quelque manière le code génétique.
 
Le calendrier liturgique permet à chacun de ceux qui le pratiquent (à chaque pratiquant), de vivre la naissance l’enfance, la prédication,, la mort, la résurrection du Christ et l’envoi du Saint Esprit après son Ascension. Selon les périodes – joyeuses ou pénitentielles – on chante ou non l’alleluia : il n’est présent qu’aux fêtes (pas les jours de féries c’est-à-dire pas les jours sans). Les fêtes peuvent relever du temporal (c’est-à-dire de la grande histoire du salut synthétisée les dimanches et fêtes particulières au cours de l’année) ou du sanctoral (fêtes de saints répandues sur tous les jours de l’année). Il y a un alleluia pour chaque jour de fête ou temporal et du sanctoral, partie gauche et partie droite du Missel, pour peu que ces fêtes ne soient pas célébrées durant le Carême, temps où l’alleluia disparaît.
 
Au temps de Pâques, au contraire, les alleluia se multiplient, dans l’introït, l’offertoire, la communion, et même, pendant la semaine de Pâques, après l’Ite missa est. A ce moment là, de Pâques à la Trinité, soit pendant 50 jours,  avant la lecture de l’Evangile, l’alleluia – répons et verset – est redoublé ; le graduel et le traict sont supprimés, nous revenons dans un instant sur ce dont il s’agit.
 
Tous ces alleluia représentent la étymologiquement la « louange à Dieu » : verbe hébreu hallel accompagné de Ya, forme brève pour Yahvé. Significativement, c’est sur cette dernière syllabe que se concentrent les mélismes musicaux. C’est bien à Dieu seul que revient la gloire, pour cette résurrection d’un animal humain, Jésus, le Fils de Dieu, le Verbe fait chair, prémisses de toutes les résurrections, qui communique la vie éternelle à tous ceux qui la lui demanderont vraiment, comme il l’a fait pour le bon Larron, premier sauvé (Lc 23, 43) : « Je te le dis, ce soir tu seras avec moi en Paradis ».
 
Au départ, l’alleluia était même réservé au temps pascal. C’est le pape Grégoire qui officiellement l’a étendu à tout le calendrier des fêtes, avant l’Évangile, pour insister sur un point : quand Dieu donne sa propre parole, il se donne déjà lui-même : ce don déclenche comme évidemment notre louange. Cette louange évidente, c’est l’alleluia.
 
Mais la lecture de l’Evangile peut être précédée d’autres chants : le graduel est ainsi nommé parce que le verset du graduel était chanté sur les degrés de l’autel par quelques chantres, Le plus souvent il est constitué d’extraits de psaumes. Le traict, psalmodie ornée, selon des mélismes qui reviennent d’un dimanche à l’autre, remplace l’alleluia en temps de Carême. Il fait comme « un trait » entre l’épître et l’Evangile. Le premier dimanche de Carême, c’est le psaume 90, psaume de la confiance en Dieu, qui est chanté entièrement au cours du traict. Le dimanche des Rameaux, le psaume 21 est chanté tout entier, dans un long traict. Alors que le Christ entre dans le temps de sa Passion, et que nous y entrons avec lui,  c’est, par excellence le psaume du serviteur souffrant, exalté pour sa patience. Inutile de préciser que voilà deux psaumes dont la lecture privée est particulièrement fructueuse. Attention, les psaumes sont ici donnés selon la numération gréco-latine, que les Bibles contemporaines abandonnent ou mettent entre parenthèses au bénéfice de la numération massorétique.
 
Nous avons déjà évoqué la séquence (grégorienne) ou la prose (en plain chant plus tardif) qui accompagnaient les grandes fêtes. La plus poétique est celle du commun de la dédicace d’une Eglise au propre de Paris ; Jerusalem et Sion Filiae ; La plus terrible pour la messe des morts : le Dies irae;  qui n’a pas son pareil pour évoquer la disproportion entre la nature humaine et sa destinée. La plus précise est rédigée par saint Thomas d’Aquin : Lauda Sion. Elle exprime notre foi en la présence réelle du Christ dans l’hostie, avec toutes les conséquences de ce dogme. Les quatre dernières strophes sont les plus mystiques.  La plus belle des séquences à mon goût reste la prière au Saint Esprit que l’on chante après les deux alleluia de la Pentecôte : je parle du Veni Sancte Spiritus, dont chacun peut faire une prière, quand il veut trouver les mots et qu’il a besoin, pour cela, de l’inspiration du Saint Esprit. Mais la plus éloquente, avec son dialogue musical entre les fidèles et Marie Magdeleine est le Victimae pascali laudes que l’on chante à Pâques. Les séquences sont des compositions poétiques, leurs textes ne sont pas empruntées directement à l’Ecriture sainte. Dans le propre de chaque diocèse dorment des chefs d’oeuvre qu’il faut redécouvrir. Qui connaît la prose de Saint Bénigne patron du diocèse de Dijon ? A Paris, on chante encore occasionnellement la séquence à saint Denis (9 octobre) : Sub securi stat securus : sous la hache du bourreau il demeure impavide. ou à sainte Geneviève (3 janvier), pièce rédigée par Adam de Saint Victor au XIIème siècle. Les mélodies sont souvent difficiles.

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