Méditation : L’Annonciation à la lumière des enseignements de Léon XIII

En France, la fête de l’Annonciation était parfois appelée « Notre-Dame de Chasse-Mars », parce qu’elle tombe à la fin du mois de mars. On l’appelle aussi « Notre-Dame-de-la-Prospérité », ce qui a donné lieu à la croyance selon laquelle tout ce qu’on sème en ce jour pousse bien, et qu’il vaut mieux planter ou greffer des arbres ce jour-là plutôt qu’un autre.

Pour donner quelques idées de dévotion mariale à l’occasion de cette fête du 25 mars, j’aimerais présenter certaines réflexions contenues dans les encycliques du pape Léon XIII. Ce pape, qui régna à la charnière du XIX° et du XX° siècle, est l’auteur de onze encycliques sur le Saint Rosaire et la Vierge Marie. On y trouve des idées particulièrement intéressantes sur l’Annonciation, qui constitue le premier mystère joyeux du Rosaire.

La fête liturgique qu’on appelle « l’Annonciation angélique à la Vierge Marie », « l’Annonciation du Seigneur », « l’Annonciation du Christ » ou encore la « Conception du Christ », trouve son premier témoignage historique au concile de Tolède X, en 656, bien que ce soit pour constater qu’elle n’est pas célébrée partout le même jour. Néanmoins, dans le calendrier liturgique en vigueur, neuf mois séparent le 25 mars du 25 décembre, exactement le temps d’une grossesse.

L’Annonciation célèbre le retour de l’homme à Dieu

Il est évident que le dialogue de la Vierge, âgée de quinze ans, avec l’esprit céleste Gabriel et tout ce qui s’accomplit lors de ce colloque sont des abîmes des secret divins. Chaque mot de ce dialogue mérite une longue et profonde méditation éclairée par la foi.

Le moment de l’Annonciation est décisif dans l’œuvre du retour du genre humain blessé par le péché depuis la chute des premiers parents au paradis : le lien entre le Créateur et l’homme créé, déchiré sous l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, a été restauré à l’instant du Fiat de la Vierge de Nazareth. La deuxième Personne de la Sainte Trinité a pris un corps humain et est devenue le Médiateur entre Dieu et l’humanité.

Le mystère célébré le 25 mars, mystère de l’Incarnation, renferme donc in nucleo tous les évènements de la douleur et de l’exaltation du Fils de l’homme et de sa Mère.

L’Annonciation est une fête sacerdotale

Saint Thomas d’Aquin explique qu’un médiateur doit avoir quelque chose de commun avec les deux extrémités qu’il réunit. L’union hypostatique, c’est-à-dire l’union de la nature divine avec la nature humaine dans la Personne du Fils de Dieu, constitue ainsi l’office du Médiateur entre Dieu et les hommes. Le Verbe Incarné dans le sein de la Vierge Marie est donc véritablement « Pontife » – un bâtisseur de pont, car telle est la signification originelle du mot latin Pontifex – . Cet embryon qui vient d’être conçu est donc, par la grâce de l’union, le Souverain Prêtre du Nouveau Testament.

En d’autres termes, l’intercession du Christ pour les hommes a commencé dans les entrailles de la Vierge Marie, au moment même de l’Annonciation. A toutes les prières de l’Église, explique le pape Léon XIII dans l’encyclique Octobri mense, « s’ajoutent la puissance et l’efficacité assurément infinies des prières et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime l’Église et qui S’est livré pour elle afin de la sanctifier… , Lui qui en est le Pontife suprême, saint, innocent, toujours vivant pour intercéder pour nous, et dont la foi divine nous enseigne que la prière et les supplications sont incessantes ».

Le Fils de Dieu s’est fait homme, et donc Médiateur et Prêtre en ce jour de l’Annonciation : sa consécration sacerdotale a été accomplie au moment même du Fiat de Notre-Dame, et c’est pourquoi le 25 mars est une fête sacerdotale par excellence, quoi qu’on ne parle presque jamais de cet aspect. Mais il faut donc chercher sans cesse les sources et le renouveau du sacerdoce catholique – et de tous les sacrements – dans ce jour de l’Incarnation, et plus précisément dans les paroles « Voici la Servante du Seigneur ».

Dans l’encyclique Fidentem piumque, Léon XIII écrit encore : « Assurément, le nom et le rôle de parfait Conciliateur ne conviennent à nul autre qu’au Christ ; lui seul, Dieu et homme tout ensemble, a réconcilié le genre humain avec le Père céleste. Il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, qui s’est offert lui-même pour la rédemption de tous (1 Tim. 2, 5-6). Mais si, comme l’enseigne le Docteur angélique, rien n’empêche que quelques autres soient appelés en un sens médiateurs entre Dieu et les hommes, en tant qu’ils coopèrent à l’union de l’homme avec Dieu dispositivement et par leur ministère tels que les anges et les saints prophètes et les prêtres des deux Testaments, évidemment le même titre de gloire convient plus amplement à la sainte Vierge, car il est impossible de concevoir quelqu’un qui, pour réconcilier les hommes avec Dieu, ait pu dans le passé ou puisse dans l’avenir agir aussi efficacement, que Marie. C’est elle qui a donné un Sauveur aux hommes courant à leur perte éternelle, lorsque, à l’annonce du Sacrement de paix apporté par l’Ange sur la terre, elle donna son admirable consentement au nom de tout le genre humain ».

Marie, Médiatrice de l’unique Médiateur

L’Immaculée Conception de Marie, déjà dans le sein de sainte Anne sa mère, était une préparation en vue de ce moment de l’Incarnation virginale du Fils du Père Eternel. Par ses prières et ses soupirs afin que le Messie vienne sur terre, Marie, dès son âge le plus tendre, lors de son éducation au Temple de Jérusalem, intercédait pour les hommes devant le Dieu d’Israël. Dans l’Annonciation, la Vierge est le canal dont Dieu se sert afin d’accomplir son décret éternel sur l’Incarnation du Verbe ; et elle est Médiatrice et Représentante de toute l’humanité recevant Dieu, son Rédempteur.

La mission visible du Fils de Dieu en vue du salut du monde dépendait donc du consentement de la Sainte Vierge, c’est pour cela que Leon XIII explique, dans son encyclique Octobri mense : « On peut, avec non moins de vérité, affirmer que, par la Volonté de Dieu, Marie est l’intermédiaire par laquelle nous est distribué cet immense trésor de grâces accumulé par Dieu, puisque la grâce et la vérité ont été créées par Jésus-Christ, ainsi, de même qu’on ne peut aller au Père suprême que par le Fils, on ne peut arriver au Christ que par Sa Mère ».

C’est par Marie que Dieu a lié un contact salutaire avec l’humanité. Par la grâce de Dieu, la Vierge a reçu l’Annonciation de l’Ange et elle y a répondu positivement : c’est par sa coopération fidèle avec les grâces reçues, et par sa fidélité qui a fait multiplier ces grâces, que Marie a mérité afin que le Verbe de Dieu reçoive la chair humaine. Cette affirmation signifie que la Bienheureuse Vierge, par sa pureté et sa sainteté, a mérité non en vertu de la justice, mais en vertu de son amitié avec l’Éternel de devenir la Mère de Dieu : « cette surabondance de la grâce, qui est le plus éminent des nombreux privilégies de la Vierge, l’élève de beaucoup au-dessus de tous les hommes et de tous les anges et la rapproche du Christ plus que toutes les autres créatures : C’est beaucoup pour un saint de posséder une quantité de grâce suffisante au salut d’un grand nombre : mais, s’il en avait une quantité qui suffit au salut de tous les hommes du monde entier, ce serait le comble ; et cela existe dans le Christ et dans la Bienheureuse Vierge » (Encyclique Magnae Dei Matris).                

Dans la scène de l’Annonciation, l’évangéliste saint Luc décrit le bouleversement profond qui a touché la Vierge de Nazareth, devant la grandeur du message qu’elle reçoit : elle se trouve devant l’acte qui engage non seulement sa vie, mais aussi toute l’histoire de l’Univers. Par son Fiat, Marie anticipe la disponibilité du Verbe Incarné, qui va se livrer pour le rachat des hommes. Marie a voulu coopérer, d’une façon semblable à celle du Fils de Dieu, pour autant que sa condition de pure créature le lui permettait, au salut de ceux pour lesquels le Christ est venu au monde.

Marie, nouvelle Eve

Saint Irénée de Lyon, disciple des Apôtres, a développé un parallèle avec l’image de saint Paul, qui appelle le Chris un Nouvel Adam, en mettant Marie face à Eve. La première mère a été trompée par le serpent – l’ange déchu ; Marie a reçu l’ambassade de l’ange envoyé par Dieu. Eve par sa désobéissance est devenue la cause de la mort pour tout genre humain, Marie par son obéissance est devenue la cause du salut pour le monde entier.

« Lors donc que nous la saluons « pleine de grâce » par les paroles de l’ange et que nous tressons en couronne cette louange répétée, il est à peine possible de dire combien nous lui sommes agréables et nous lui plaisons : chaque fois, en effet, nous rappelons le souvenir de sa sublime dignité et de la rédemption du genre humain que Dieu a commencée par elle » – affirme le pape Léon dans son encyclique Magnae Dei Matris. Le bienheureux cardinal John Henry Newman (dont la canonisation est prévue cette année) ajoute que ce parallélisme Eve – Marie montre la participation objective de la Vierge dans l’œuvre salutaire de Jésus-Christ : son consentement à l’Incarnation et même à la Passion, ainsi que son état de pureté morale et sa conception immaculée lui ont permis d’écraser la tête du serpent, le tentateur du jardin d’Eden.

Marie, gardienne de la foi

La Très Sainte Vierge a reçu l’Annonciation de l’Ange dans la foi en se représentant le drame du Calvaire. La foi de Marie dépasse donc par son héroïsme la foi d’Abraham : celui-ci a cru qu’il aurait un enfant dans ses vieux jours, et il était pourtant prêt à le sacrifier pour accomplir la volonté de Dieu. Marie, elle, a cru en même temps en la conception virginale de son divin Fils, et en son sacrifice total, lui qui devait s’immerger dans la mort et ressusciter des enfers.

« Et puisque le fondement et le principe des dons divins, par lesquels l’homme est élevé au-dessus de l’ ordre de la nature vers les biens éternels est la foi, pour acquérir cette foi et pour la faire fructifier, c’est à bon droit qu’on proclame l’excellence de l’action secrète de Celle qui a engendré l’ Auteur de la foi, et qui, en raison de sa foi, a été saluée Bienheureuse : Personne, ô Vierge très sainte, n’est rempli de la connaissance de Dieu que par vous ; personne n’est sauvé que par vous, ô Mère de Dieu ; personne n’ obtient un don de la Miséricorde que par vous » – enseigne le pape Léon XIII dans Adjutricem populi.

C’est donc encore la Très Sainte Vierge qui intercède pour les chrétiens, afin que leur foi grandisse et résiste devant les assauts des démons et du monde corrompu.

Comme la Vierge enceinte est la gardienne de la réalité du Corps du Fils de Dieu, ainsi elle est aussi la gardienne de l’intégrité et de l’orthodoxie catholique. En effet, l’Apôtre saint Jean écrit dans sa première épitre : « Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu ; c’est là l’esprit de l’Antichrist » (I Jn 4, 2-3). Et selon saint Augustin, dans ces paroles « Jésus Christ venu dans la chair », est renfermée toute la doctrine catholique, car il n’y a aucune hérésie qui ne répugne au Verbe Incarné ; en ce que cette hérésie s’oppose à la doctrine qu’Il est venu enseigner au monde, et qu’Il a laissé dans son Église qui devait la conserver, l’enseigner et la déclarer avec une vérité ineffable. En conséquence, Léon XIII appelle la Mère de Dieu, dans plusieurs de ses documents pontificaux, « Destructrice de toutes les hérésies ».

Marie, mère de l'Eucharistie

En assistant à la messe et en recevant dans la sainte communion le Corps glorifié du Sauveur, particulièrement en cette fête de l’Annonciation, réfléchissons donc encore à ces mots du Saint-Père : « quels sentiments éprouvera-t-on à la pensée que le sang du Christ répandu pour nous, et les membres sur lesquels il montre à son Père les blessures reçues comme prix de notre liberté, ne sont autre chose que le corps et le sang de la Vierge ? Car la chair de Jésus est la chair de Marie : et, quoique exaltée par la gloire de la résurrection, la nature de cette chair est restée et demeure la même qui a été prise en Marie ».

Car en effet, c’est encore grâce au Fiat de Marie que le Fils de Dieu est devenu Emmanuel, Dieu avec nous, non seulement pendant sa vie terrestre, mais jusqu’à la fin des siècles dans la Très Sainte Eucharistie.

 
 

 

 

 

 

 

 

Abbé Karol Załęski,

en ministère à Częstochowa

ordonné prêtre en 2014

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